La triste fin des Sévère préfigure la grande anarchie

 

 

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Après la mort de Caracalla, assasiné en 217 par son prefet du prétoire, Macrin, l’empire allait avoir un empereur non issu d’une manière formelle du Sénat . Né à Césarée de Mauritanie (aujourd’hui en Algérie) vers l’an 165, ce Macrin vint à Rome sous le règne de Septime Sévère, commençant ainsi une carrière brillante dans la haute administration impériale. Très vite, il devint lui-même Préfet du Prétoire de Caracalla, ce qui était étonnant de la part d’un empereur rugueux et cruel, parce que cela contrastait avec le caractère mièvre de Macrin et son goût pour des raffinements tels que boucles d’oreille, riches parures flottantes ou barbe très soignée. Néanmoins, il sembla conserver les faveurs de son maître, même si celui-ci ne manquait jamais aucune occasion de se moquer de lui, notamment pendant la campagne militaire conte les Parthes de Mésopotamie au point que Macrin commença à comploter contre l’empereur. Mais il s’y prit tellement mal qu’il éveilla les soupçons, un confident de l’empereur envoyant même à ce dernier une lettre de dénonciation…qu’il ne prit pas la peine de lire, parce que préparant une course de chars.

Du coup, le dernier récipiendaire de la lettre fut Macrin lui-même, qui s’empressa évidemment de détruire la lettre, mais aussi de tout mettre en oeuvre pour se débarrasser de Caracalla, se doutant que ce dernier ne lui aurait fait aucun cadeau s’il avait eu vent de ce que tramait Macrin derrière lui. Et c’est ainsi qu’il soudoya un centurion qui en voulait à l’empereur, lequel avait notamment fait exécuter son frère. pour qu’il accomplît un geste (tuer l’empereur) qu’il n’avait pas le courage de faire. Si ce centurion fut massacré par des cavaliers germains fidèles à Caracalla, le soi-disant inoffensif Macrin s’en tira beaucoup mieux puisque ils l’acclamèrent et le proclamèrent empereur (11 avril 217). C’était la première fois qu’un plébéien montait sur le trône des Césars, mais il n’allait pas y rester très longtemps.

Toujours aussi lâche malgré son nouveau statut, voyant et comprenant que la guerre qu’il menait aux Parthes d’Artaban ne tournerait pas à son avantage, Macrin se hâta de signer une paix peu glorieuse, demandant dans la foulée au Sénat de Rome de le confirmer comme empereur. Cette formalité accomplie, il se considéra légitime pour fonder une dynastie dont hériterait son fils Dioduménien, âgé à ce moment de neuf ans. Mais il estima aussi le moment venu pour profiter de la vie à Antioche, ce qui déplut fortement aux soldats ayant encore le souvenir des belles années de batailles et de débauche qu’ils estimaient avoir vécu avec Caracalla. Cela leur déplut tellement qu’ils obligèrent Macrin à s’enfuir d’Antioche pour essayer de gagner la partie occidentale de l’Empire. Essayer est bien le mot, puisque ses adversaires le rattrapèrent avant la traversée du Bosphore et lui coupèrent la tête , sort qui fut réservé aussi à son héritier. Nous étions en 218, ce qui signifie que le règne de Macrin fut aussi éphémère que le souvenir qu’il laissa à la postérité.

Julia Dominia ou Domna (170-217), dont j’ai évoqué le nom dans un article consacré à Caracalla, femme ô combien influente en politique (épouse de Septime Sévère et mère de Caracalla) , mais aussi comme mécène entre autres de la philosophie et de la musique, avait une soeur, Julia Maesa (170-224). Aussi intelligente et ambitieuse qu’elle, elle allait se servir de ses deux petits-fils nés de deux de ses filles, pour devenir incontournable à Rome. L’un s’appelait Varius Bassiatus connu sous le pseudonyme d’Heliogabale, ce qui veut dire « dieu-soleil », prêtre à Emèse en Syrie, aujourd’hui tristement célèbre sous le nom d’Homs, d’où la famille de sa mère était originaire. L’autre se nommait Alexis, mais n’était encore qu’un enfant à cette époque.

Maesa fit courir le bruit qu’Heliogabale était le fils naturel de Caracalla. Les légionnaires qui étaient en Syrie, et qui s’étaient convertis à la religion locale, voyaient dans ce petit enfant de choeur de quatorze ans le représentant du Seigneur. Du coup, ils le proclamèrent empereur et le conduisirent triomphalement à Rome avec sa grand-mère et sa mère. Ainsi une journée de printemps en 219, l’Urbs vit arriver le plus bizzarre de tous les « Auguste » : un jeune garçon tout vêtu de soie rouge, avec du rouge aux lèvres et les sourcils soulignés de henné, un rang de perles autour du cou, des bracelets d’émeraude aux poignets et aux chevilles, une couronne de diamants sur la tête. Cela n’empêcha pas le jeune garçon en question d’être acclamé , d’autant qu’aucune nouvelle mascarade ne scandalisait plus personne.

Evidemment le véritable empereur fut une femme : la grand-mère Julia Maesa, soeur de Julia Domna. Pour Heliogabale le trône n’était qu’un joujou, et il en usa comme tel. Dans sa candeur puérile, ce jeune garçon était gentil comme un chiot. Son plaisir favori était de faire des farces à tout le monde. Mais des farces bien innocentes telles que des tombolas et des loteries comportant des surprises, des attrapes, des escamotages de cartes. Bref, il s’amusait bien, certains diraient même que c’était un sybarite, voulant tout ce qu’il y avait de mieux en tout, et dépensant sans compter. On racontait même qu’il voyageait avec pas moins de cinq cents chars à sa suite, et était capable de dépenser des sommes astronomiques pour un simple parfum. Quand un devin lui prédit qu’il allait mourir de mort violente, il se procura à grands frais les instruments les plus raffinés pour son suicide : une épée d’or, un arsenal de cordes de soie, des boîtes de ciguë constellées de diamants.

De temps en temps il évoquait son passé sacerdotal et souffrait de crises mystiques. Un jour il décida de se circoncire, un autre il tenta de s’émasculer, une autre fois encore il se fit expédier d’Emèse le fameux météorite de son arrière-grand-père maternel. Il y fit construire un temple au-dessus, tout en proposant aux juifs et aux chrétiens de reconnaître leur religion comme religion d’Etat, mais à une condition : remplacer comme icônes Jeovah et Jesus par son petit bloc de pierre. En somme du grand n’importe quoi, comme nous dirions aujourd’hui, au point que grand-mère Maesa considéra que toutes ces extravagances mettaient la dynastie en danger. De fait, elle demanda à son petit-fils chéri d’adopter son petit cousin Alexis et de le nommer Cesar sous le nom pompeux de de Marc Aurèle Sévère Alexandre. Puis, avec cette désinvolture qui était une des marques de sa famille, elle le fit tuer avec sa mère, laquelle, rappelons-le, était sa propre fille. Nous étions en 222.

Cela étant, cet horrible massacre allait faire naître le règne de celui que beaucoup considéraient comme un saint. En effet, Alexandre Sévère qui n’avait encore que quatorze ans, allait faire immédiatement honneur à son nom. Il faut préciser d’abord qu’il avait étudié avec zèle, et qu’il s’imposait une manière de vivre digne de ceux qui pensaient qu’on peut atteindre à la sainteté en se privant de la quasi totalité des plaisirs sur terre. Ainsi, il dormait à même le sol, mangeait sobrement juste pour se nourrir, prenait systématiquement une douche froide en été comme en hiver, et s’habillait très simplement. De son prédécesseur, il n’avait hérité qu’un seul trait : l’impartialité à l’endroit de toutes les religions, , avec toutefois une sympathie marquée pour la morale des juifs et des chrétiens.

La preuve, il fit sculpter sur nombre d’établissements publics, leur précepte : « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi-même ». Il se livrait aussi à des discussions impartiales avec des théologiens , ne fût-ce que sous l’influence de sa mère Julia Mammée, qui avait pris la place de Julia Maesa depuis sa mort. Mais impartialité ne signifie pas absence de préférence personnelle, et celle-ci penchait pour le christianisme, son modèle étant l’ascète Origène qui apportait à la foi nouvelle une vocation de stoïcien. Origène fut aussi considéré comme le premier grand philosophe chrétien, l’une des grandes figures de l’école d’Alexandrie dont il fut le recteur dès l’âge de dix-huit ans. Apologiste d’une rare fécondité, il fut le fondateur de l’exégèse biblique.

Tandis qu’Alexandre Sévère s’occupait principalement du ciel, Mammée gouvernait la terre, et plutôt bien, assistée des conseils d’Ulpien qui avait été le tuteur d’Alexandre Sévère. Elle eut une politique économique habile , diminua l’influence des militaires et surtout rendit au Sénat une partie de ses pouvoirs. Elle ne commit qu’une erreur en se montrant très injuste avec sa bru, par jalousie, ce qui entraîna le bannissement de cette dernière. Cela étant, elle restera quand même dans l’histoire comme une sacrée combattante, partant avec son fils à la tête de l’armée pour repousser les Perses redevenus menaçants. La guerre aurait pu être évitée, car Alexandre Sévère, avant d’engager la bataille, envoya au roi ennemi, Xerxès, une lettre pour le persuader de ne pas livrer cette bataille, ce qui fut pris pour un aveu de faiblesse de la part de ce redoutable guerrier, lequel, après avoir vaincu et mis à mort Artaban, dernier roi des Parthes, rétablit dans l’Orient l’ancien empire des Perses. Le roi Perse attaqua et fut battu. Néanmoins cette victoire ne fit pas aimer la guerre à l’empereur, ce qui lui commanda d’éviter de la faire aux Germains. Rencontrant leurs émissaires en Gaule, il leur offrit un tribut annuel s’ils acceptaient de se retirer…ce qui fut fatal à Alexandre.

Certes les légionnaires n’étaient plus aussi avides de batailles, mais ils n’étaient pas encore prêt à acheter une paix. Du coup, ils se révoltèrent, tuèrent sous leur tente Alexandre, sa mère et toute leur suite. Ensuite ils proclamèrent empereur le général de l’armée de Pannonie (qui recouvrait ce qu’on appelle aujourd’hui l’Europe Centrale), Julius Maximus. Nous étions en 235. Depuis la mort de Septime Sévère (211), c’était le quatrième empereur qui achevait son règne. Mais ce n’était rien à côté de ce qui allait se passer par la suite, puisque entre 235 et 285 (règne de Dioclétien), un nombre incalculable d’empereurs vrais ou faux montèrent sur un trône devenu fictif, avec comme particularité supplémentaire que tous moururent de mort violente sauf un, très âgé pour l’époque (75 ans) et déjà malade, ce qui explique qu’il ait pu mourir dans son lit en 276…et qu’il soit quelque peu passé à la postérité (Probus). Grandeur et décadence des successeurs de César et d’Auguste!

Michel Escatafal


France-Etats-Unis : Je t’aime, moi non plus…pour toujours

Avec l’avènement récent aux Etats-Unis et en France d’un nouveau président, Donald Trump et Emmanuel Macron, on a eu l’occasion d’entendre évoquer de nouveau, encore avant-hier soir lors de l’intervention d’Emmanuel Macron sur TF1 et LCI, l’amitié éternelle qui lie la France et les Etats-Unis, malgré quelques différents majeurs entre les deux chefs d’Etat sur le climat, la Corée du Nord ou l’Iran. Néanmoins ces désaccords n’ont pas empêché Donald Trump de rendre visite à Emmanuel Macron, lequel l’avait confié à assister au défilé du 14 juillet, défilé qui a énormément plu au président américain. Lesdits désaccords ne peuvent évidemment occulter aussi le fait que la France dispose avec les Etats-Unis d’un allié sûr qui, au cours du siècle dernier, a largement contribué à sauver notre pays face aux ambitions bellicistes de l’Allemagne de Guillaume II et d’Hitler. Voilà pour l’histoire récente et plus lointaine, en notant que jamais notre pays et son allié américain n’ont été en guerre, même si ces deux nations se sont affrontées très souvent dans leur histoire commune. Il est vrai que la France est une vieille nation, alors que les Etats-Unis n’ont même pas 250 ans d’existence. Cela étant l’une et l’autre se doivent beaucoup, même si chacune avait souvent son propre intérêt dans l’aide qu’elle apportait à l’autre. En disant cela, on est loin de ce que nous entendons habituellement sur le sujet.

Faisons donc un peu d’histoire pour se remémorer ce qui s’est passé entre ces deux nations. Tout a commencé en 1776, quand treize colonies anglaises proclamèrent leur indépendance. Aussitôt Vergennes, secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, y vit l’occasion de prendre sa revanche sur l’Angleterre, qu’il assimilait à un « monstre contre lequel il convient d’être toujours préparé », et qui nous avait dépossédé de nos colonies en Amérique du Nord au traité de Paris du 10 février 1763, l’un des plus désastreux que notre pays ait dû signer. Même si Louis XVI n’était pas très enclin à aider des insurgés en lutte contre une monarchie, il décida finalement d’apporter son aide aux indépendantistes, malgré l’opposition de Turgot qui, considérant le mauvais état des finances, écartait toute idée de guerre. Toutefois il fallut que le marquis de La Fayette achetât lui-même son bateau, pour arriver à s’embarquer pour les Amériques avec des volontaires en 1777, et se mettre aux ordres de Georges Washington.

Après beaucoup d’épisodes guerriers au cours desquels La Fayette faillit perdre la vie, les Anglais capitulèrent à Saratoga ( 17 octobre 1777). Le 17 décembre Vergennes informa Benjamin Franklin, avec qui il avait négocié à Paris l’aide de la France un an auparavant, que celle-ci reconnaissait l’indépendance des Etats-Unis. Cependant ce n’est qu’en 1783 (traité de Versailles) que la victoire contre la puissance coloniale anglaise sera acquise définitivement, grâce aux 6000 hommes du contingent français sous le commandement de Rochambeau, et à l’escadre de 38 navires dirigée par l’amiral de Grasse, mais aussi à l’aide financière importante que la France avait apportée (6 millions de livres) malgré des finances publiques de plus en plus obérées.

Un autre évenement va contribuer à renforcer les bases de cette nouvelle nation : Bonaparte cède la Louisiane et la Floride, le 20 décembre 1803, pour 80 millions de francs. Il aura de ce fait largement contribué à la construction des Etats-Unis, même si au départ son idée était de faire de cette nouvelle nation une rivale maritime de l’Angleterre. A ce propos, il est curieux de constater que chaque fois qu’on favorise l’émergence d’une puissance pour en contrer une autre, cette nouvelle puissance finit toujours par dépasser ceux qui ont aidé à son développement. Voir la Chine de nos jours !

Les Américains qui ont largement bénéficié de l’aide de Napoléon Bonaparte pour agrandir leur pays, n’en seront pas pour autant reconnaissants avec le neveu de celui-ci, Napoléon III. En 1866, sachant le corps expéditionnaire français en difficulté au Mexique, le gouvernement américain qui venait d’achever la guerre de Sécession un an auparavant, multiplia les pressions pour que la France rapatrie ses troupes le plus rapidement possible. Ce fut fait un an plus tard dans des conditions tout à fait catastrophiques, qui discréditèrent à jamais Napoléon III, au point que certains dirent à l’époque « que jamais humiliation plus dure ne fut infligée au chef d’une grande nation ».

En revanche, comme je l’ai précédemment évoqué, une cinquantaine d’années plus tard, les Etats-Unis aideront la France et plus généralement les Alliés, lors de la première Guerre mondiale. En fait l’entrée en guerre des Etats-Unis fut tardive, le président Wilson, fils de pasteur et pacifiste convaincu, ne voulant à aucun prix intervenir dans « cette guerre civile » entre Européens. Malgré le torpillage du Lusitania (paquebot britannique) par les Allemands en 1915, qui fit 1000 morts dont 128 Américains, les Etats-Unis restaient fidèles à leur politique « de neutralité médiatrice ». Il fallut attendre janvier 1917, et la décision prise par les Allemands de faire la guerre sous-marine à outrance, entraînant un blocus de fait vis-à-vis des Etats-Unis, pour que ceux-ci décident enfin de rentrer dans la guerre (2 avril 1917). « La Fayette nous voilà ! ». Cette intervention sera évidemment décisive pour la victoire des Alliés.

Cette aide et la victoire qui suivit allaient permettre à l’Amérique de commencer à assurer son leadership sur le monde. Tout d’abord parce que les puissances européennes étaient exsangues, voire même complètement ruinées, et ensuite parce que les Etats-Unis allaient faire en sorte que la France ne profite pas de la victoire, alors que c’est elle qui a subi le plus durement cette guerre. N’oublions pas que la France avait perdu entre 1914 et 1918, 1400.000 morts contre 744.000 au Royaume-Uni, 750.000 à l’Italie et 68.000 aux Etats-Unis. A ces pertes sur les champs de bataille, il faut ajouter la surmortalité due aux mauvaises conditions d’hygiène, aux privations, aux épidémies, la France ayant vécu ce conflit sur son territoire.

Clémenceau, appelé le « Tigre», ne s’était pas trompé quand il avait annoncé : « Nous avons gagné la guerre, nous avons maintenant à gagner la paix ». Il savait bien que Français, Anglais et Américains ne feraient pas longtemps front commun dans la victoire. Il savait aussi que les Etats-Unis s’accommoderaient mal d’une France agrandie par le retour de l’Alsace-Moselle dans l’hexagone, et par l’extension de son empire colonial, avec « les mandats » qui lui furent accordés sur le Togo, le Cameroun, la Syrie et le Liban. De fait, les Etats-Unis en refusant de ratifier le traité de Versailles (1919), rendirent caduque la promesse américaine de garantie d’aide en cas de nouvelle attaque de l’Allemagne. Les Anglais inaugureront à cette occasion le suivisme que nous connaissons sur les positions américaines, en se dégageant à leur tour de cette promesse.

Dans cette affaire l’amitié américaine vis-à-vis de la France aura montré ses limites, et la Grande-Bretagne, qui voit sa puissance s’amoindrir rapidement au détriment de son cousin anglo-saxon, va désormais devenir l’alliée privilégiée des Etats-Unis. La France essaiera de participer à ce partenariat en se rapprochant de l’Amérique, avec le pacte signé en 1928 entre Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, et Kellogg, secrétaire d’Etat américain, « qui interdit tout recours à la guerre comme instrument politique ». Ce pacte sera ratifié par 63 nations dont le Royaume Uni, mais aussi par l’Allemagne et le Japon. On sait ce qu’il advint onze ans plus tard.

La signature de ce pacte n’empêchera pas les Etats-Unis d’essayer d’affaiblir leur ancien partenaire, la France, taxée d’impérialisme, et de contribuer de tout leur poids au relèvement de l’Allemagne, assurément le meilleur contrepoids à la puissance française. Ils iront même plus loin en essayant de contrecarrer par tous les moyens le rapprochement franco-allemand qui se dessinait en 1925, quand Aristide Briand déclarait à Locarno le 16 octobre : « Les Etats-Unis d’Europe commencent ». Aujourd’hui leur position n’a guère changé sur l’Europe, même si l’Union Européenne est une réalité affirmée et, espérons-le, irréversible malgré les coups reçus ces derniers temps, tels que le Brexit, les désirs d’indépendance en Catalogne, en Flandres ou en Italie du Nord, sans oublier le poids politique grandissant dans de nombreux pays de l’U.E des populistes très à droite et très à gauche.

Fermons la parenthèse pour noter que ces évenements du début du vingtième siècle ont amené les Français à se méfier désormais de leurs grands alliés outre-Atlantique qui, il faut bien le dire, ne vont rien faire pour éviter cette défiance. Cela va entraîner dans notre pays des débats au sein de la droite française, voire même parfois à gauche, qu’on a du mal à imaginer de nos jours. En effet, si toute la droite dans notre pays était sensible au péril soviétique, l’unanimité fut loin d’être de mise sur le péril allemand, certains allant jusqu’à prôner un rapprochement avec l’Allemagne, doutant du soutien anglo-américain en cas de conflit avec cette dernière. Il faudra les accords de Munich en 1938 pour que les Français prennent conscience de la menace qui pesait sur eux, et que l’alliance avec les Britanniques était bien la seule réalité envisageable.

Ensuite ce sera la guerre, avec l’infamante capitulation de juin 1940 et l’appel du général de Gaulle. Là s’ouvre un autre épisode de la relation franco-américaine. Le général de Gaulle refusant l’effondrement de notre pays, voulait aussi que les Américains et les Anglais reconnaissent la France dans le jeu diplomatique, ce qu’ils avaient du mal à accepter. Après la libération du pays dans laquelle la contribution américaine fut capitale, le général de Gaulle maintiendra ses exigences, et la France retrouvera sa place à égalité avec les trois grands (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne). Cependant, le règlement des questions internationales à Yalta (février 1945) se fera sans la France, même si elle finit par garder un siège permanent à l’ONU, et si elle obtenait une zone d’occupation en Allemagne.

Le général de Gaulle avait donc maintenu l’essentiel mais quand il quitta le pouvoir, en 1946, ses successeurs acceptèrent la solidarité atlantique face au « totalitarisme soviétique ». La France devenait dépendante de l’Amérique, et ses rêves de grandeur s’effondraient petit à petit. Les Etats-Unis feront le minimum pour aider la France en Indochine, et s’y installeront quelques années après pour leur malheur. Au moment de la nationalisation du canal de Suez par Nasser (1956), les Etats-Unis participeront activement à la déconfiture des pays qui ont attaqué l’Egypte, à savoir Israël, la Grande-Bretagne et la France. Le rôle de cette dernière a changé, nous sommes devenus une puissance moyenne comme d’ailleurs les autres grandes nations européennes.

Le retour du général de Gaulle va obliger les Etats-Unis à composer de nouveau avec la France. Celle-ci, au demeurant, se montrera d’une loyauté sans faille vis-à-vis de son allié américain, notamment dans l’affaire des fusées soviétiques à Cuba (octobre 1962). Mais de Gaulle voulait une France indépendante de l’Amérique, et décida de se retirer de l’OTAN en 1966, tout en restant dans l’Alliance Atlantique. Ses successeurs suivront globalement la même politique jusqu’en 2007, au point même que Français et Américains s’affrontèrent durement en 2003 au sujet de la guerre en Irak (discours de Dominique de Villepin à l’ONU), les Etats-Unis et la Grande-Bretagne partant en guerre sans l’aval de l’ONU. Cette politique d’indépendance allait aussi favoriser la construction européenne que les Etats-Unis n’ont jamais vue d’un très bon œil, du moins dans la conception fédéraliste de ceux qui l’avaient initiée. Le général de Gaulle avait plutôt une idée différente aboutissant à une confédération, dont la France serait bien évidemment le leader. Le traité de l’Elysée le 26 janvier 1963 avec Konrad Adenauer participait de cette démarche.

Ces derniers temps la France et les Etats-Unis ont retrouvé des relations davantage voire extrêmement cordiales, notamment dès l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007. Notre diplomatie était même devenue très dépendante de celle des Etats-Unis, au point que la France semblait abandonner la vocation d’équilibre qui était la sienne, avec la possibilité de parler avec tout le monde. Cette position a fait dire à certains que la France et l’Union Européenne devaient non pas s’aligner sur les positions souvent très contestables des Etats-Unis, mais au contraire affirmer leur place dans la construction d’un monde multipolaire, promouvant sur la scène internationale la paix et la stabilité du monde. Ce fut un peu le même reproche qui fut adressée à la France de François Hollande, dont la voix était inaudible sur la scène internationale. Il semble que celle d’Emmanuel Macron, très européenne, soit davantage écoutée que celles de ses prédécesseurs, ce qui n’empêche pas les Etats-Unis d’en faire à leur guise sur le plan diplomatique, surtout avec quelqu’un comme Donald Trump. Toutefois, cela ne nous empêchera pas de considérer les Etats-Unis comme un allié privilégié.

Michel Escatafal


Caracalla : un empereur pire que Commode

caracallagetaComme on pouvait s’en douter, Septime Sévère n’aurait jamais dû désigner ses deux fils pour lui succéder. Cette décision surprenante n’était en rien viable et ne le fut pas, pour la simple raison qu’après avoir aidé leur père à mourir, ils en arrivèrent très vite à régler eux-mêmes leur compte. En fait, ce règne à deux dura en tout et pour tout onze mois, du 5 février 211 au 26 décembre de la même année. On ne pouvait pas faire plus court! Il est vrai que l’aîné des deux frères, Caracalla, né un an avant Geta (en 188) ressemblait beaucoup plus à Commode qu’à Antonin, ce qui explique sa férocité. Et j’emploie le mot à dessein, car après avoir fait assassiner Geta, il condamna à mort vingt mille citoyens soupçonnés d’avoir pris le parti de son frère. En outre, pour apaiser une éventuelle mauvaise humeur des soldats, Caracalla appliqua à la lettre les préceptes de son père, en remplissant généreusement leurs poches de sesterces…ce qui ne lui garantira pas la vie pour autant, sa mort en témoigne.

Caracalla n’était pas ce que l’on appelle de nos jours une nullité, bien au contraire,mais il était tout simplement profondément cruel et amoral. Bien qu’il ait un faciès de brute, il avait été plutôt bien éduqué, au point que Don Cassius a écrit : « Etant déjà empereur, il s’entretenait avec des maîtres, et s’occupait de philosophie la plus grande partie du jour ». Cela étant nombre d’historiens ont trouvé ce compliment très exagéré, dans la mesure où Caracalla était plutôt un passionné d’animaux sauvages, ce qui n’est contesté par personne. Ainsi chaque matin, à peine levé, il voulait un ours vivant pour se mesurer avec lui et garder ainsi des muscles bien entraînés. Ensuite il s’asseyait à table avec un tigre comme compagnon, et quand venait le moment de se coucher, il se mettait entre les pattes d’un lion.

Le moins que l’on puisse dire est qu’il aimait vraiment les animaux, et pas forcément ceux qu’on appelle de compagnie! Il les aimait plus que les sénateurs, qu’il ne recevait jamais, après les avoir laissés stationner une partie de la journée dans son antichambre, mais se montrait toujours cordial avec les soldats…parce qu’ils se sentaient beaucoup plus proches d’eux, sans parler du fait qu’ils pouvaient être beaucoup plus utiles que les sénateurs si quelqu’un s’avisait de vouloir prendre sa place. Autre particularité de Caracalla, il donna les droits de citoyen romain à tous les mâles de l’empire, certainement pour augmenter le nombre de gens astreints aux taxes de succession, mais cette décision le fit entrer dans l’histoire et contribua un peu à faire oublier le reste dans la trace qu’il laissa à la postérité. A partir de 212 (date de l’édit qui porte le nom de Caracalla), Romains, Italiens, provinciaux se confondaient dans l’égalité des droits, toute citoyenneté particulière restant acquise à chacun.

Pour la politique proprement dite, il s’en occupait peu , laissant ce soin à sa mère qui s’y connaissait, mais qui agissait en fonction de ses sympathies et de ses antipathies, ce qui, évidemment, n’avait rien de très rationnel. C’est elle qui triait la correspondance et donnait audience aux ministres et ambassadeurs. A Rome, on disait qu’elle s’était procuré cette position privilégiée en cédant aux désirs incestueux de son fils, ce qui était probablement faux. Ah les rumeurs! Si les historiens ont estimé que cela n’était pas vraiment crédible, c’est tout simplement parce que Caracalla était assez sérieux. En fait il n’aimait rien tant que la guerre et les duels.

Un jour quelqu’un lui parla d’Alexandre le Grand. Il se prit d’admiration et d’enthousiasme pour lui, au point de vouloir l’imiter. Résultat, il recruta une phalange comme le fit à sa manière son héros et marcha sur la Perse. Mais par rapport à Alexandre, il lui manquait le génie militaire, oubliant même au cours des batailles qu’il était général, parce que cela l’amusait davantage d’être soldat et de provoquer l’ennemi en corps à corps. Du coup les légionnaires finirent par se fatiguer de ces marches militaires et de ces guerres qui n’aboutissaient à rien sauf à massacrer les populations locales , sans programme et surtout sans butin. Et ils le poignardèrent le 8 avril 217, mettant fin à un règne de six ans seulement, un des maîtres d’oeuvre de ce crime étant Marcus Opelius Macrinus…qui lui succéda. Julia Domna, sa mère, fut déportée à Antioche après avoir tout perdu, à savoir son mari, son trône, ses enfants. Elle se laissa mourir de faim, mais en laissant derrière elle une soeur, Julia Maesa, qui avait son cerveau et son ambition, mais aussi deux petit-fils, nés de deux de ses filles : l’un s’appelait Varius Bassianus et l’autre Alexis, lequel était encore un enfant.

Michel Escatafal


Septime Sévère, empereur romain non choisi par Rome

septime-severeDans un précédent article (L’horrible Commode, ou le début de la fin de l’Empire romain) j’avais indiqué comment Septime Sévère, né en avril 146 en Lybie (près de Khoms aujourd’hui), était devenu empereur. Aujourd’hui nous allons voir qui était ce Septime et comment l’histoire l’a jugé, en notant tout d’abord que pour la première fois on vit monter sur le trône un Africain d’origine juive. Ce n’était pas Rome qui l’avait vraiment choisi, mais Rome ne s’en trouva pas mal, dans un premier temps, une fois que Septime Sévère eut gagné la partie en mettant à mort ses adversaires et en transformant définitivement la principauté en une monarchie héréditaire du type militaire. Cela pouvait paraître surprenant et triste qu’on en arrive là, mais ce n’était en rien la faute de Septime Sévère si la situation à Rome était à ce point dégradée. Au contraire, pour éviter de s’enfoncer durablement dans le chaos, Septime Sévère ne pouvait guère agir autrement. Il fallait une main de fer pour enrayer la catastrophe, et Septime Sévère sut l’avoir, même si le fer était parfois trop rouge.

Son physique est parfois dépeint comme celui d’un bel homme approchant la cinquantaine d’années à son arrivée au pouvoir, plutôt spirituel, alors que d’autres, notamment l’historien Dion Cassius, le décrivent comme un homme de petite taille et plutôt maigre. En revanche tout le monde lui reconnaissait une robustesse certaine, des talents indéniables de stratège, un franc-parler de bon aloi, mais aussi un cynisme assez marqué. Issu d’une famille aisée d’origine libyenne et punique, il avait étudié la philosophie à Athènes et le droit à Rome, ce qui ne l’empêchait pas de parler le latin avec un fort accent phénicien. Il n’avait pas l’étoffe d’un Antonin ou d’un Marc-Aurèle, ni la complexité intellectuelle d’Hadrien, mais il était honnête et droit avec un sens aigu de la réalité. En fait on ne lui connaissait comme gros défaut, avant d’arriver au pouvoir, que sa lubie pour l’astronomie, qui lui fit faire un mariage qui porta malheur à Rome.

Il perdit sa première femme, décrite comme une brave et simple créature, quand il se trouvait en Syrie. Veuf, il interrogea immédiatement les astres, et apprit que l’un d’entre eux, sans doute un météorite, était tombé dans les environs d’Emèse, ville tristement célèbre de nos jours puisqu’elle s’appelle Homs. Il s’y rendit et vit que sur ce morceau de ciel on avait érigé un temple dans lequel était installé à une certaine époque, pour vénérer la relique, un prêtre, soi disant héréditaire d’El Gabal le dieu solaire d’Emèse. Ce prêtre qui se déplaçait beaucoup avait une fille, nommée Julia Domna, qui était une véritable beauté. Quand Septime Sévère la vit pour la première fois dans la province de Lyonnaise, dont il était le gouverneur (depuis l’an 185), il imagina immédiatement que c’était l’épouse que les astres lui ordonnaient de prendre. Hélas pour lui, cette belle créature le trompa très vite, ce qui était d’autant plus facile pour elle que son mari avait bien trop à faire pour s’en apercevoir. Mais ce malheur de caractère privé allait se transformer a posteriori en catastrophe pour l’empire. Pourquoi ? Parce que Julia, femme au demeurant intelligente et cultivée, qui réunit autour d’elle un salon littéraire où elle introduisit les goûts et les modes de l’Orient, mit au monde Caracalla et Géta, les deux futurs coempereurs désignés pour succéder à Septime Sévère.

Septime Sévère gouverna l’empire dix-sept ans (193-211), en s’imposant d’abord à ses rivaux et au Sénat, lequel avait d’abord soutenu Didius Julianus, avant de le faire exécuter. Ensuite il prit le nom de Pertinax faisant semblant de considérer que ce dernier était son père adoptif. Puis il offrit le titre de « César » à Clodius Albinus qui tenait la Gaule et la Grande Bretagne. Restait à prendre le dessus sur Pescennius Niger qui était le maître de l’Orient romain, partie la plus riche et la plus peuplée de l’Empire, et pour ce faire il put compter sur les Parthes de Mésopotamie, qui ne voyaient qu’avantage à ces dissensions entre Romains. Et pour se donner encore quelques atouts supplémentaires, Septime Sévère n’hésita pas à favoriser la dissidence des Chrétiens, pour l’instant peu nombreux, mais qui commençaient à former une redoutable minorité prête à tout pour défendre sa foi, ce que semble-t-il Pescennius Niger n’avait pas compris. Et ce qui devait arriver arriva, à savoir que Niger fut vaincu et tué, le nouvel homme fort de l’empire en profitant pour éteindre toutes les velléités des Parthes qui avaient commis le crime de soutenir Niger. Il ne lui restait plus qu’à terrasser Clodius Albinus, lequel fut vaincu à Lyon en 197 et poussé au suicide. S’ensuivit ensuite une répression terrible qui élimina toute forme d’opposition y compris les sénateurs récalcitrants. Cela dit, comme s’il sentait le besoin de consolider son pouvoir autrement que par la force et la férocité, Septime Sévère se fit reconnaître comme le fils de Marc-Aurèle, devenant de facto le frère de l’horrible Commode, ce qui n’était quand même pas très flatteur pour lui.

Une fois cette œuvre achevée, il s’occupa de son travail d’empereur, assisté de Papinien, jurisconsulte qu’il fit nommer préfet du Prétoire, avec une faveur particulière pour l’armée, ne s’adressant au Sénat que pour lui donner des ordres et guerroyant presque constamment. Mais ce qu’il fit de plus singulier fut d’introduire une grande et dangereuse nouveauté, à savoir l’obligation du service militaire pour tous, à l’exception des Italiens, auxquels il était interdit. C’était la conséquence de la décadence guerrière du pays et du caractère irrémédiable de cette décadence. Dorénavant l’Italie allait être à la merci des légions étrangères. Avec ses légions, Septime Sévère se livra à toute une série de guerres plus ou moins heureuses non seulement pour consolider les frontières, mais aussi pour conserver leur entraînement aux garnisons. Parmi ces guerres, il y eut celle qui se tint en Bretagne (la plus grande île britannique), où il se fit accompagner par ses deux fils Caracalla et Getal, pour vaincre les Calédoniens ( Ecossais), sans toutefois remporter de bataille décisive.

Avec le temps il devint de plus en plus féroce, n’hésitant sur aucun moyen quand il s’agissait d’assoir son autorité. Ainsi, après avoir marié Caracalla avec Plautilla, fille de son ami Plautanius, il n’eut aucun scrupule à faire accuser ce dernier de trahison, et le faire assassiner, en profitant aussi pour bannir sa belle-fille et l’exiler sur l’île de Lipari (province de Messine aujourd’hui) avec l’accord bienveillant de Caracalla. Pour l’histoire on notera que c’est sur cette île que Mussolini et ses amis emprisonnèrent leurs opposants. Fermons la parenthèse et revenons à Septime Sévère pour noter que la mort le surprit en Angleterre le 4 février 211, après avoir souffert pendant des années de la goutte.

Le plus triste est qu’il allait désigner Caracalla et Geta pour lui succéder. Décision d’autant plus malvenue qu’il avait beaucoup critiqué Marc Aurèle pour avoir choisi comme successeur Commode. Pourquoi avoir choisi ses fils ? Sans doute parce qu’il ne les connaissait pas ou si peu, ayant toujours été éloigné d’eux. Sans doute aussi parce qu’au fond il s’en moquait. La preuve : il aurait déclaré à l’un de ses lieutenants : « Je suis devenu tout ce que j’ai voulu, je m’aperçois que ça n’en valait pas la peine ». Et il recommanda à ses héritiers : « Ne lésinez pas sur l’argent avec les soldats, et moquez-vous de tout le reste ». Drôle de testament, d’autant plus superflu que Caracalla et Géta s’en emparèrent totalement et que dans ce reste leur père était compris. En effet, la première vraie décision qu’ils prirent fut d’ordonner aux médecins de hâter la mort de leur père.

Michel Escatafal


Les deux Napoléon et leur manière de prendre le pouvoir…

Résultat de recherche d'images pour "Napoléon 1er et Napoléon III"Nombre de personnes font un parallèle qui leur semble évident entre le 18 brumaire an VIII (1799) et le 2 décembre 1851. En réalité, les deux coups de force des Bonaparte, devenus Napoléon par la suite, furent très différents et surtout, aux yeux de la postérité, laissèrent dans l’histoire deux sentiments presque opposés. En effet, on trouvait cela presque normal pour celui qui allait devenir Napoléon 1er, alors que celui qui allait devenir Napoléon III restera à jamais un imposteur pour nombre de Français. Et tout cela parce que l’arrivée au pouvoir des deux hommes fut précédée par des heures de gloire pour l’un et une multitude d’échecs retentissants pour l’autre (tentatives de soulèvement de la garnison de Strasbourg en 1836 et de Boulogne en 1840), mis à part sa victoire écrasante lors de l’élection présidentielle de 1848. Tout cela aussi parce que Victor Hugo appela le dernier empereur et premier président de la République, Napoléon le Petit, propos qui ont forgé à jamais les esprits de notre pays au point de ne voir en lui qu’une caricature digne des commentaires faits sur les pires empereurs romains.

Cela dit, on pourrait effectivement noter que Napoléon Bonaparte sut sans doute beaucoup mieux profiter de la situation de notre pays à l’époque, et faire admettre avec davantage d’évidence sa prise totale du pouvoir le 18 brumaire. Ce jour-là déjà, le général Bonaparte commit son coup de force, que certains qualifient de crime, en plein jour, se présentant lui-même devant les deux Assemblées. Laissant à une certaine distance les grenadiers qui le suivaient, il n’eut pas peur de s’exposer aux apostrophes et aux menaces des défenseurs de la Constitution qu’il voulait détruire. En outre, pour parler comme les défenseurs de la République ou ce qu’il en restait à ce moment,  il aurait pu être frappé par un de ces hommes capables de mettre en pratique la maxime vieille comme le monde et que Montesquieu a proclamée en ces termes : « Le crime de César qui vivait dans un gouvernement libre n’était-il pas hors d’état d’être puni autrement que par l’assassinat ? Et demander pourquoi on ne l’avait pas poursuivi par force ouverte ou par les lois, n’était-ce pas demander raison de ses crimes ? « 

Le 2 décembre en revanche, Louis Napoléon Bonaparte se vit reprocher d’avoir fait enlever un à un, en pleine nuit et dans leur sommeil, les défenseurs de la Constitution qu’il voulait renverser. Pendant que des aventuriers, des policiers et des soldats surveillaient ou exécutaient l’enlèvement des citoyens dont le peuple eût peut-être écouté la voix, et d’officiers supérieurs dont la probité influente eût pu « ramener à l’honneur », comme on disait à l’époque, les régiments qu’on en détournait, lui, le parjure (il était président de la République !), le traître même aux yeux de ses contempteurs, cachait ses inquiétudes et ses peurs au fond de son palais, protégé par trente-deux mille soldats. Cela Victor Hugo le savait !

Comme je l’ai écrit précédemment, l’homme du 18 brumaire n’avait, du moins avant son putsch, attaché son nom qu’à des exploits glorieux. Sa campagne d’Italie avait été une succession de victoires couronnées par des traités avantageux pour la France. Celle d’Egypte, bien que désastreuse en terme de résultat final, ne se révélait encore que par le retentissement des batailles gagnées en allant dans ce pays jugé lointain à l’époque, à savoir la prise de Malte le 11 juin, puis le débarquement à Alexandrie le 1er juillet et la célèbre bataille des Pyramides le 21 juillet. Tant de succès, attribués au génie militaire de ce jeune général, l’entouraient d’un prestige qui éblouissait le peuple et l’armée. Dédaignant les voluptés au milieu desquelles vivait Barras, le chef du Directoire, Napoléon Bonaparte avait, depuis près de cinq ans, vécu sur les champs de bataille. Et puis, ni le Conseil des anciens ni celui des cinq-cents n’avaient su préserver la fortune publique des dilapidations auxquelles Barras la livrait pour entretenir sa vie de plaisir. Tout cela favorisait l’accomplissement de ce qui devait finir par arriver et pouvait, aux yeux de beaucoup, atténuer cette expropriation du pouvoir.

L’homme du 2 décembre, au contraire, n’était connu que pour ses équipées scabreuses et folles avant son élévation au pouvoir, et par ce que l’on appelait ses machinations contre la jeune République…dont il était devenu le gardien. Pendant les deux années qui précédèrent son coup d’Etat, il se comporta beaucoup plus comme un vulgaire Barras que comme un véritable homme d’Etat. Aux yeux de ses nombreux détracteurs, il ne réalisait même pas que s’il avait atteint la plus haute fonction existant dans une république, cela était dû uniquement au nom qu’il portait. Dans les Mémoires secrets du dix-neuvième siècle on pouvait lire que « lorsqu’on le croyait tout à son occupation des grandes affaires de l’Etat, il ne songeait en réalité qu’aux refus très secs de telle actrice en renom, et aux moyens à employer pour prendre avec telle autre une éclatante revanche. Les années 1850 et 1851 ont été celles où les favorites de théâtre ont régné le plus sur le prince-président. Plus tard les dames du monde allaient avoir leur tour. » Edouard Ferdinand Beaumont-Vassy n’aimait pas le futur Napoléon III, comme on le devine aisément, même s’il fut pourtant préfet de l’Aisne entre 1851 et 1853 !

Fermons la parenthèse pour noter que les deux empereurs ont utilisé parfois les mêmes arguments pour démontrer l’utilité du 18 brumaire et du 2 décembre. Ainsi pour justifier son ramponneau, le futur Premier consul accusa l’Assemblée d’avoir trois fois violé la Constitution et de « tramer des complots aux dangers desquels il pouvait seul arracher le pays. » Dans une proclamation au peuple il se posait en victime, affirmant être visé par d’imaginaires conspirateurs contre sa personne, et en défenseur de la République pour le salut de laquelle il avait déchiré la Constitution. Servile imitateur de son oncle, le Bonaparte du 2 décembre va utiliser la même justification fallacieuse, en adressant aux Français une proclamation dans laquelle il accuse l’Assemblée « d’être devenue un foyer de complots, d’attenter aux pouvoirs qu’il tient directement du peuple, d’accumuler sur lui les provocations et les outrages, de ne pas respecter le pacte fondamental. » Cela étant, il est vrai que la Constitution avait été violée à deux reprises, le 8 mai 1849 dans son article 5, par le renversement de la République romaine, et le 31 mai 1850, dans l’une de ses dispositions fondamentales, par la mutilation du suffrage universel, le corps électoral ayant été restreint (un tiers des citoyens en furent exclus) avec de nouvelles conditions à l’exercice du droit de vote. Mais, pour être précis, ces deux violations de la loi furent l’œuvre commune de Louis Napoléon Bonaparte et de la majorité royaliste de l’Assemblée.

Revenons à présent à cette proclamation pour préciser qu’elle était rédigée avec une habile duplicité. Aux Parisiens dont le républicanisme était aussi ardent que leur aversion pour les royalistes des deux branches bourboniennes, le prince-président présente son coup d’Etat comme étant exclusivement dirigé contre « ces hommes qui ont perdu deux monarchies, qui veulent  me lier les mains afin de renverser la République, alors que je veux sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France : le peuple. » En outre, afin de donner une apparence de vérité à ce que certains considéraient comme des mensonges agréables au peuple dont ils flattaient la haine, Louis Napoléon Bonaparte les accompagne d’un décret dissolvant l’impopulaire Assemblée, rétablissant le suffrage universel, et convoquant le peuple français dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre suivant.

Tout cela, afin de créer « les bases fondamentales d’une constitution que les assemblées développeront plus tard. » Un peu plus loin il ajoutait que « ce système créé par le Premier consul, au commencement du siècle, a donné à la France le repos et la prospérité ; il les lui garantirait encore. » Avec le recul, on peut considérer qu’il était sans doute trop hardi de parler de repos et de prospérité avec pareil système. Je pourrais citer bien d’autres évènements qui montrent que s’il existait des différences entre les méthodes de gouvernement des deux empereurs, leur approche pour prendre le pouvoir relevait de la même finalité : s’en emparer par la force pour l’exercer à leur guise, sauf en fin de temps pour Napoléon III.

Michel Escatafal


Louis XV a fait de la France un pays affaibli et déclinant

louisXVLa période de gloire et de magnificence du Roi Soleil fut une époque où tous les souverains d’Europe (Angleterre, Espagne, Prusse, Russie…) se mirent à copier Versailles, faisant appel à des architectes, des peintres et des sculpteurs français. Ainsi on dessinait des jardins à la française, on cuisinait et on s’habillait à la française, on dansait le menuet et la gavotte comme à Versailles. Même notre langue devint de facto, à partir de 1697 (traité de Ryswick rédigé en français entre la France et les Provinces –Unies), la langue diplomatique, bien que la langue latine conservât ses droits jusqu’en 1763. Bref, la France de Louis XIV était une sorte de « phare de l’humanité », y compris à la fin de son règne, malgré les erreurs et les échecs du vieux roi.

Hélas pour l’orgueil national, cela ne dura pas, au point qu’en 1773 le monde regardait la France comme une puissance devenue secondaire dans le vrai sens du terme, ce qui signifie qu’elle n’était plus la nation prépondérante. Il est vrai que les successeurs de Louis XIV, le nonchalant Louis XV et le faible Louis XVI, ne firent rien pour stopper le déclin déjà amorcé dans les dernières années de la vie de Louis XIV, même si nombre d’historiens considèrent qu’il date de la révocation de l’Edit de Nantes (18 octobre 1685). Pour mémoire on rappellera que cette décision avait entraîné la fuite de près de 300.000 protestants pour des refuges tels que Berlin, Londres, Genève, Amsterdam ou Le Cap en Afrique du Sud, pays où l’on trouve nombre de noms à consonance bien française. Cette fuite fut surtout préjudiciable parce qu’elle concernait des gens issus de la bourgeoisie laborieuse, lesquels allaient offrir leurs talents à leur pays d’accueil. Talents d’autant plus importants que, contrairement aux nobles qui ne travaillaient pas ou si peu, ces exilés représentaient une des forces vives de la nation (négoce).

Cela dit, le déclin de la puissance française en Europe fut surtout due à une crise d’autorité comme la France n’en avait pas connu depuis longtemps. Louis XV en effet, fut un roi d’une insigne faiblesse, laquelle n’avait d’égale que son extrême paresse d’esprit. En fait, conscient de sa mollesse et de ses lacunes, les seules choses qui l’intéressaient réellement étaient la chasse, la cuisine, préparant lui-même des petits plats, et ses favorites. Pourtant son début de règne fut prometteur, un peu à l’image de ces empereurs romains auxquels on prêtait de grands desseins avant qu’ils ne provoquent de grandes déceptions (Caligula, Néron, Domitien, Commode), devenant très vite ce qu’on appellerait aujourd’hui une idole ou une grande star, sous sa perruque blanche qui mettait en évidence sa beauté aristocratique, au point de devenir pour ses sujets « le Bien–Aimé ». Il était tellement aimé, qu’à la nouvelle d’une maladie contractée à Metz, où il dirigeait la direction de la défense nationale, en pleine guerre de la Succession d’Autriche (en 1744), hommes et femmes de toute la France se précipitèrent dans les églises afin de prier pour sa guérison. On raconte même qu’à la seule sacristie de Notre-Dame de Paris, il fut demandé 6000 messes pour qu’il surmonte la maladie. Un an plus tard, il prit part à la bataille de Fontenoy (aujourd’hui en Belgique), célèbre pour son fameux « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! », victoire prestigieuse certes, mais qui sonna comme le chant du cygne de son règne.

En effet, comme je l’ai précédemment évoqué, l’espoir du peuple s’est assez rapidement envolé. Après la mort du ministre Fleury en 1743, par parenthèse à un âge canonique pour l’époque (90 ans), beaucoup pensaient que Louis XV allait enfin gouverner lui-même, disant à ceux qui lui annonçaient la fin du vieux cardinal : « Et bien, me voilà premier ministre », ce qu’il ne fut jamais, se contentant d’être roi en raison des privilèges et des plaisirs que la fonction était susceptible d’offrir. Pourtant toutes les fées semblaient s’être penchées sur son berceau avec, outre sa beauté naturelle, qui avait fait dire au marquis d’Argenson « qu’il ressemblait à l’amour », un esprit fin et une belle dose de bon sens. Il était aussi capable d’amitié et d’affection, accomplissant même strictement ses devoirs religieux. Cela étant, il était un personnage assez énigmatique, sujet à des sautes d’humeur déconcertantes. Bref, de gros défauts que certains attribuent au fait qu’ayant été roi très jeune (cinq ans), il n’avait été entouré sa vie durant que par des courtisans empressés à lui plaire, ce qui avait développé chez lui son plus terrible travers, à savoir un égoïsme exacerbé qui lui faisait oublier tous ses devoirs.

En fait, il ne s’intéressait quasiment pas aux affaires de l’Etat, suivant avec indifférence les séances du Conseil…parce que ça l’ennuyait. On notera d’ailleurs le contraste avec son arrière grand-père, Louis XIV, à qui il succéda en 1715. Toutefois il y eut au moins un point sur lequel il ressembla à son prestigieux prédécesseur : ses liaisons parfois dangereuses avec des femmes qui n’eurent pas toujours une bonne influence sur lui. Mais sur ce plan Louis XV fit beaucoup plus fort que le Roi soleil, au point que le roi de Prusse Frédéric parla de « règne des favorites » ou de celui « des cornettes et des cotillons ». Toutefois ce caractère volage n’apparut pas dans ses premières années de mariage. On dit même qu’au début, son mariage avec Marie Leczinska fut plutôt heureux, le couple ayant eu dix enfants, dont sept survécurent (six filles et un garçon). Mais son règne à peine commencé, l’influence de la reine, au demeurant plutôt effacée, s’estompa au profit des favorites.

La première qui joua un rôle politique fut la duchesse de Châteauroux (à partir de 1742), mais son influence dura peu, car elle mourut subitement en 1744. Ensuite ce fut une bourgeoise, Jeanne Poisson, qui lui succéda, au grand dam de la noblesse qui lui reprochait d’être la fille d’un père condamné à l’exil pour divers trafics frauduleux. Mais le roi n’eut cure de cette paternité et la fit marquise de Pompadour en 1745, après avoir été séparée légalement de son mari. Plus jeune que Louis XV, elle était assez jolie si l’on croit le portrait dessinée par Maurice-Quentin Delatour, datant de 1753, alors qu’elle était âgée de trente deux ans. Elle était également lettrée, et surtout dévorée d’ambition. Dès 1747, après avoir été officiellement présentée à la Cour, le roi lui donna un appartement au château de Versailles, qu’elle occupera pendant vingt ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort (1764). Et si elle resta aussi longtemps, c’est surtout parce qu’elle fut en fait la vraie souveraine, faisant et défaisant les ministres, allant jusqu’à confier ou retirer les commandements…aux armées.

Plus grave encore, l’arrivée à Versailles de « la Pompadour » marqua le début d’un terrible gaspillage qui se perpétua jusqu’à la fin du règne de Louis XV, lequel, livré à lui-même, se comporta comme un enfant gâté essayant de distraire son ennui. Quant à la favorite, elle chercha à assurer son crédit en multipliant les divertissements autour de Louis XV et en prodiguant de multiples largesses. Les « menus plaisirs » se révélèrent plus ruineux les uns que les autres, moins toutefois que les pensions distribuées aux courtisans. Par exemple, le prince de Condé touchait 500.000 livres, avant de voir sa dotation tripler (1.500.000 livres équivaudraient de nos jours à un peu moins de 4.000.000 d’euros)…pour payer ses dettes ! Une générosité pour quelques privilégiés qui absorbaient une bonne partie des revenus de l’Etat. Et à l’époque il n’y avait pas de Cour des Comptes, créée seulement en 1807, ce qui n’aurait sans doute rien changé si elle avait existé pendant le règne de Louis XV.

Comme évoqué précédemment, après la mort de Fleury, il n’y eut plus de premier ministre, et comme le roi n’en faisait pas fonction, le gouvernement se trouva sans réelle direction. Cela étant, parmi les différents ministres désignés par la faveur du roi ou de Madame de Pompadour, il y eut quand même quelques hommes à qui l’on peut reconnaître quelques mérites, et même un grand administrateur, le contrôleur général Machault. Remplaçant d’Orry en 1745, homme intègre et habile financier qui rétablit l’impôt du dixième après le désastre du système Law, Machault d’Arnouville était un ancien intendant réputé pour son énergie, au point qu’on le surnomma « Tête de fer ». Au lendemain de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), il entreprit de rétablir de nouveau la situation financière fortement dégradée par les dépenses militaires et le gaspillage de la Cour. Comme Fleury, Machault voulait faire des économies, tout en sachant que le seul remède véritable aux difficultés des finances publiques était de s’attaquer aux scandaleux privilèges des grands propriétaires fonciers qui échappaient à l’impôt.

En mai 1749, avec l’approbation du roi, Machault d’Arnouville abolit l’ancien dixième ressuscité par Orry en 1733. Il le remplaça par un impôt deux fois moins lourd, le vingtième, mais prélevé sur les revenus de tous, privilégiés ou non, pour assurer graduellement le remboursement de la dette. Une bonne décision qui ne fit pas long feu, puisque le vingtième, comme autrefois la capitation ou le dixième, se heurta à la résistance farouche des privilégiés, à commencer par les Parlements (Paris et province), et le clergé. Résultat, Louis XV céda, et le clergé comme les autres privilégiés furent exemptés, la charge retombant sur le peuple. Cette reculade eut pour premier effet de voir s’élever une antipathie de plus en plus marquée entre le peuple et le souverain, plus particulièrement le peuple de Paris, même si le roi fut dans un premier temps davantage épargné que la marquise de Pompadour ou les courtisans avides de faveurs et hostiles à toute réforme. Cette hostilité ne fit que croître jusqu’en 1774, année de la mort de Louis XV.

Michel Escatafal


Chirac-Giscard : une rivalité qui appartient à l’histoire

giscard-chiracL’autre jour, en relisant une étude sur le président de la Cinquième République, je constatais une nouvelle fois dans les pages consacrés au Conseil Constitutionnel, que les anciens présidents de la République en étaient membres de droit…ce qui est une véritable anomalie démocratique, aux yeux de nombre de personnes s’intéressant aux institutions politiques. Et, étant de la génération qui a commencé à voter dans les années 70, j’ai immédiatement pensé à deux personnages qui manifestement n’ont pas enterré la hache de guerre depuis bientôt 40 ans. Ce sont les deux anciens présidents de la République, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac. VGE, comme on l’appelait, a la rancune tenace vis-à-vis de son ancien Premier ministre et cela durera jusqu’à la fin de ses jours…car il est convaincu que c’est Jacques Chirac qui l’a empêché de faire un second mandat en 1981. Même s’il n’est pas le seul à le penser, cela commence à dater et nombre de Français n’étaient pas nés à cette époque. C’est pour cela que cette guéguerre entre les deux anciens présidents, apparaît avec le recul de plus en plus ridicule. Elle l’est d’autant plus que celui qui se dit constamment offensé dans cette affaire, Valéry Giscard d’Estaing, n’a jamais lui-même été très net avec son autre ancien Premier ministre, Raymond Barre, quand celui-ci s’est présenté à l’élection présidentielle de 1988.

Refaisons un peu l’histoire et rappelons-nous comment Valéry Giscard d’Estaing s’est comporté à cette époque. Compte tenu des relations exécrables qu’il entretenait avec Jacques Chirac, surtout depuis le 25 août 1976, jour où ce dernier annonça avec fracas sa démission à Matignon en affirmant : « Je ne dispose pas des moyens que j’estime nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre et dans ces conditions j’ai décidé d’y mettre fin », ceux qui soutenaient et faisaient campagne pour Raymond Barre pensaient que VGE manifesterait au minimum une neutralité bienveillante vis-à-vis d’un homme qui lui avait toujours été loyal. Or, à la grande surprise de nombre d’observateurs, ce ne fut nullement le cas, et j’aurais même tendance à dire que ce fut le contraire qui se passa. En disant cela je ne fais que répéter ce que Raymond Barre lui-même a raconté dans son dernier livre L’expérience du pouvoir.

Valéry Giscard d’Estaing a eu, en effet, constamment des attitudes pour le moins équivoques pendant cette campagne présidentielle de 1988. Par exemple lors d’un meeting à Clermont-Ferrand où, tout de suite après avoir écouté le discours de Raymond Barre, il s’en est allé sans dire un mot…sous le prétexte qu’il avait fait de même avec Jacques Chirac juste avant. Paraît-il qu’il ne voulait pas prendre position entre ses deux anciens Premiers ministres. A qui pouvait-il faire croire cela ? Pourquoi prenait-il les gens pour des imbéciles ? En fait, comme l’a dit très justement Raymond Barre, VGE ne supportait sans doute pas l’idée qu’un de ses anciens Premiers ministres puisse devenir président de la République.

Et pour le prouver, Raymond Barre raconte une autre anecdote qui en dit long sur la duplicité de Giscard à l’occasion de cette élection présidentielle. Au début de la campagne, des sénateurs et des présidents de conseils généraux UDF s’étaient réunis au Sénat pour faire une déclaration en faveur du candidat Barre, ce qui était normal puisque ce dernier avait largement contribué à la création de ce mouvement, dont l’ancêtre était un parti, appelé Fédération Nationale des Républicains et Indépendants, constitué autour de VGE en 1966. Or, à la fin de la réunion, Giscard intervint pour les dissuader de publier leur déclaration, ce qu’ils finirent par admettre. C’était à la fois petit et minable de la part d’un homme qui, grâce à son ancien Premier ministre, affiche aux yeux de la postérité le meilleur bilan économique et social de l’histoire de la Vè République, compte tenu de la gravité de la crise économique qui a secoué le monde en liaison avec les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Ce l’était d’autant plus que VGE savait bien que sa carrière politique était terminée et qu’il ne pourrait jamais plus revendiquer le pouvoir, y compris comme Premier ministre en cas de cohabitation.

Tout cela appartient à l’histoire, mais il est bon parfois de s’appuyer dessus pour comprendre que la politique est « un vrai métier » ou si l’on préfère, que pour parvenir au sommet de l’Etat il faut être un « professionnel »…que n’a jamais été Raymond Barre. Cela ne l’a pas empêché toutefois de réaliser 16,5% des voix à l’élection présidentielle, à peine trois points de moins que Jacques Chirac à la tête de son armada RPR. En fait il était trop seul face à deux grands partis (PS et RPR), mais si VGE avait vraiment joué le jeu de la candidature Barre au lieu d’être l’allié objectif de Jacques Chirac au premier tour, sachant que ce dernier serait écrasé par François Mitterrand au second, le destin de la France en aurait peut-être été changé. A propos de Mitterrand, il est d’ailleurs amusant de constater que, malgré leurs bisbilles pendant la première cohabitation (1986-1988), Mitterrand a tout fait pour que Jacques Chirac soit élu en 1995, malgré la présence au second tour de Lionel Jospin qui, pourtant, appartenait à sa famille politique. Pour mémoire il avait même été numéro deux des gouvernements Rocard et Cresson, en tant que ministre de l’Education nationale (1988-1992).

Michel Escatafal


Louis XIV, fou de la guerre…bien aidé par Louvois

LouvoisS’il y a bien un aspect de la politique de Louis XIV qui restera à jamais gravé dans la mémoire populaire, c’est son goût pour la guerre et la gloire militaire. D’ailleurs sur les cinquante-quatre années de son règne personnel, il en consacra trente à faire la guerre. C’est aussi pour cette raison que son ministre le plus connu, avec Colbert, s’appelle François-Michel Le Tellier, que Louis XIV fit marquis de Louvois (1639-1691). A ce propos, si ces trente années font partie de l’histoire glorieuse de notre pays telle qu’on l’apprenait à l’école primaire au siècle précédent, c’est parce que la France était réellement la puissance dominante de l’Europe. Elle était tellement puissante cette France qu’elle pouvait se permettre d’entretenir, même en temps de paix, de grandes armées. Certains diront que Louis XIV avait aussi eu la chance d’hériter de l’œuvre de Richelieu et Mazarin, mais il a quand même élargi les frontières de la France dans des proportions importantes. Cela lui valut d’ailleurs l’hostilité des autres puissances européennes, au point de devoir affronter constamment des coalitions, alors que Richelieu et Mazarin avaient su fédérer autour d’eux presque tous les pays européens, à l’exception évidemment de la maison d’Autriche, laquelle rappelons-le détenait la couronne d’Espagne. Cela allait déclencher une guerre sur terre et sur mer qui devait durer treize ans (1701-1714), qui eut pour théâtre l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’est et le Nord de la France et les colonies, qui allait laisser exsangue le royaume tout en renforçant l’Autriche et l’Angleterre.

Fermons la parenthèse pour évoquer les réformes militaires mises en place durant le règne du Roi Soleil, qui furent l’œuvre des Le Tellier. Le père, Michel, était secrétaire d’Etat à la guerre depuis 1643, y associant à partir de 1662, avec vocation à le remplacer, son fils François-Michel, plus connu sous le nom de Louvois. En fait Louvois prit définitivement la place de son père en 1677 (alors âgé de 74 ans), pour rester en fonction jusqu’à sa mort en 1691. Cela dit, c’est surtout lui que l’histoire a retenu dans la réorganisation de l’armée, comme elle a retenu qu’il fut aussi un des personnages les plus haïs de son temps, à la fois orgueilleux, dur avec ses subordonnés et obséquieux envers les puissants. Il porte d’ailleurs une lourde part de responsabilité dans les excès de la politique protestante de Louis XIV, flattant toutes ses passions. Néanmoins ce travailleur acharné fut un remarquable organisateur de l’armée française, au point qu’il en fit l’outil de guerre le plus perfectionné du monde connu. En outre, comme son père, il savait s’entourer, les deux hommes ayant eu pour collaborateur le plus grand homme de guerre de son siècle, le maréchal de Turenne (1611-1675), qui reçut la dignité suprême de la part de Louis XIV, ce dernier faisant de lui le maréchal général des camps et armées de France (1660).

Si ces hommes là eurent autant d’importance dans la politique de Louis XIV, c’est parce que ce dernier considérait que si l’on ne faisait pas la guerre, il fallait se préparer à la faire, ce que d’aucuns ont appelé la paix armée ou l’armée permanente. A tout instant l’armée devait être prête à entrer en campagne. Ainsi, alors qu’en 1661 il n’y avait qu’un petit noyau de troupes permanentes, un peu plus de dix ans plus tard (1672) Louis XIV disposait de 60 régiments d’infanterie, chiffre porté à 250 en 1701. Au total, à ce moment, l’effectif moyen sur ce que l’on appela  le pied de paix représentait 125.000 fantassins et 47.000 cavaliers, chiffres tout à fait considérables pour l’époque. Tout était bon pour recruter des gens prêts à faire la guerre, le procédé traditionnel du racolage s’avérant très vite insuffisant compte tenu des besoins. Tout était bon signifie aussi que les recruteurs n’hésitaient pas à rentrer de force dans les maisons et à enlever les récalcitrants, les plus déterminés d’entre eux étant enchaînés comme des galériens. Mais ces enrôlements forcés n’étaient pas encore suffisants pour alimenter les troupes, d’où l’idée de Louvois de demander aux sujets du roi le service militaire, ce qui lui permit de créer la milice (1688). Ces miliciens, désignés par tirage au sort, ce qui faisait des heureux et des malheureux (ceux qui avaient tiré un billet noir), étaient chargés dans un premier temps de la défense des places fortes, avant de renforcer durant la guerre de la Succession d’Espagne, les armées en campagne.

Mais cette milice était évidemment encadrée par ce qui existait déjà par le passé, à savoir la maison du roi, la cavalerie et l’infanterie, puis, un peu plus tard, un corps spécial pour l’artillerie et divers services complémentaires. Cette maison du roi, dont l’effectif s’élevait à près de 15.000 hommes, était une troupe d’élite qui, maintes fois, décida de la victoire. La cavalerie restait encore l’armée la plus estimée, et, pour y entrer, un officier devait avoir fait ses preuves avec à son actif deux campagnes dans l’infanterie. A partir de 1687, l’invention par Vauban de la baïonnette à douille, qui enveloppait l’extrémité du canon sans l’obturer, permit de faire disparaître du paysage militaire les piquiers. A peu près à la même époque, le mousquet fut remplacé par le fusil à pierre, beaucoup plus maniables, ce qui entraîna de facto la fin des mousquetaires et leur remplacement par les fusiliers. En outre, faute de soldats pour servir les pièces d’artillerie, ce qui obligeait à emprunter des hommes à l’infanterie, Louvois organisa aussi des compagnies de canonniers et de bombardiers qui formèrent le corps de Royal Artillerie. Enfin Le Tellier, puis plus tard son fils, réorganisèrent complètement le service d’intendance, très rudimentaire jusque-là. Le Tellier le constitua en rassemblant le matériel qui permit d’assurer, sans recours « aux munitionnaires », la nourriture des troupes en campagne. Par la suite Louvois multiplia les magasins de ravitaillement aux lieux d’étapes et aux frontières : l’armée cessa ainsi de dépendre en totalité des pays qu’elle parcourait. Dans la foulée, on commença à ébaucher le service d’ambulance, avec création des hôpitaux et ambulances. L’Hôtel des Invalides, prévu pour héberger 7000 anciens soldats, servit d’asile, à partir de 1674, aux mutilés de guerre, jusque-là réduits à la mendicité. On comprend pourquoi il était aussi difficile de recruter !

Autre problème : comme les officiers civils, la plupart des grades militaires étaient vénaux. On achetait le commandement d’une compagnie ou d’un régiment, ce qui signifiait pour certains officiers qu’ils étaient ignorants, incapables, parfois très jeunes ou très vieux. Louvois ne supprima pas la vénalité, mais il obligea les officiers à s’instruire, ce qui permit la création des compagnies de cadets, recrutés tout naturellement parmi les jeunes nobles. Louvois exigea d’eux une discipline totale, obéissant aux ordres sans formuler la moindre réplique…ce qui ne se fit pas sans résistance, nombre de nobles se disant nés pour commander et non pour uniquement obéir. Cela dit, ils finirent par s’incliner. Enfin, les guerres de Louis XIV étant principalement des guerres de sièges, Louvois créa un nouveau corps particulier regroupant tous les officiers ingénieurs : la Direction générale du génie. Il mit à sa tête (1678), avec le titre de commissaire général des fortifications, le plus brillant ingénieur de l’époque, Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (voir mon article Vauban, l’homme qui a construit les frontières françaises). Le système de Vauban, créateur de la fortification moderne, fut imité par toute l’Europe, et fut efficace pendant plus de deux siècles.

esca


L’horrible Commode, ou le début de la fin de l’Empire romain

commodeEn présentant Commode aux soldats comme son successeur, Marc Aurèle l’avait appelé « le Soleil levant », ce qui n’était pas une surprise dans la mesure où il le nommait « César » à l’âge de six ans (166). Peut-être bien ses yeux de père, pensant sans doute qu’il l’était réellement, le voyaient-il ainsi. Mais les légionnaires aussi se sentaient de la sympathie pour ce jeune homme brutal, sans scrupule, doué d’un gros appétit et toujours prêt aux propos orduriers, autant de défauts qui n’en étaient pas pour des soldats qui le croyaient d’une nature plus militaire que son père.

Grandes furent en conséquence et leur stupeur et leur mauvaise humeur, quand le jeune homme ruina tous les efforts qui venaient d’être faits pour vaincre les Barbares, en offrant à des ennemis écrasés militairement la plus hâtive et la plus inconsidérée des paix, dont Rome était appelée à subir plus tard les conséquences. En fait, si Commode signa en 180 un traité de paix avec les Marcomans et les Quades, c’était surtout pour retourner à Rome et mener la vie à laquelle il avait toujours aspiré, à savoir une existence remplie de sexe, de fêtes et de jeux.

Commode n’était pas un homme lâche, bien au contraire, mais la seule guerre qui l’intéressait et qui lui plût était celle que l’on faisait au cirque contre les gladiateurs et contre les bêtes fauves. Au lever, il refusait de déjeuner s’il n’avait pas égorgé son tigre quotidien. Comme ce fauve n’existait pas en Germanie, il avait hâte de rentrer à Rome où les gouverneurs des provinces d’Orient étaient tenus de lui en envoyer sans cesse. Heureusement qu’à cette époque ce magnifique félin était dans une situation meilleure que de nos jours ! Telle est la raison pour laquelle, se moquant pas mal de l’empire et de ses destins, il conclut cette paix désastreuse qui laissait subsister tous les problèmes sans leur donner la moindre solution.

On notera qu’à la mort de Marc Aurèle, le Sénat renonça à son droit d’élection et accepta l’adoption qui donnait de si bons résultats depuis Nerva, légalisant de nouveau, avec cet empereur, le principe du prince héritier. Ce ne fut pas une bonne décision, car cet empereur se situa dans la lignée de Néron et Caligula. Certes tout ce qu’ont écrit de lui ses contemporains comporte sans doute une part d’exagération, mais globalement, pour l’ensemble de son œuvre, il mérite d’être classé parmi les fléaux publics.

Joueur et buveur, Commode avait épousé la fille de Bruttius Praesens (consul entre 153 et 180) en 177, épouse qu’il répudiera soi-disant pour adultère (183) et fera assassiner en 188. On dit de Commode qu’il eut commerce avec ses sœurs, et qu’il traînait à sa suite un harem de plusieurs centaines de jeunes gens et de jeunes filles destinés à ses plaisirs. En fait, il semble bien n’avoir éprouvé qu’une affection dans sa vie : une chrétienne nommée Marcia. On peut d’ailleurs s’interroger comment une jeune femme chrétienne pouvait concilier l’austérité de sa foi avec un homme aussi débauché. Quoiqu’il en soit, elle fut très utile à ses coreligionnaires, qu’elle sauva à coup sûr d’une terrible persécution. En revanche il est difficile d’affirmer qu’elle se sacrifia de cette manière, surtout quand on pense à la façon dont elle se débarrassa plus tard de son amant.

Pour revenir sur le règne de Commode, le pire commença lorsque les délateurs dénoncèrent à l’empereur une conjuration dont le chef était sa propre tante Lucile, la sœur de son père. Sans se donner la peine de chercher des preuves, il la tua. Ce fut là le début d’une nouvelle terreur dont Commode confia la direction à Cléandre, le chef des prétoriens. On se serait cru revenu au temps de Domitien (81-96), les Romains se remettant à redouter les violences de ces gardes. Un jour, bien plutôt par peur que par courage, la population les assiégea dans le palais et demanda la tête de Cléandre.

Commode la leur donna sans hésiter et remplaça la victime par Laetus, son troisième préfet du prétoire, homme avisé, qui se rendit compte immédiatement qu’une fois élevé à ce poste, ou bien il se ferait tuer par le peuple pour faire plaisir à l’empereur, ou bien il se ferait tuer par l’empereur pour faire plaisir au peuple. Pour échapper à ce dilemme défavorable pour lui dans tous les cas, il n’y avait qu’une solution : tuer l’empereur. C’est la solution qu’il choisit, avec la complicité…de Marcia, qui démontrait une fois encore que son christianisme était loin des valeurs affichées par son fondateur. C’est elle, en effet, qui offrit à Commode une boisson empoisonnée, insuffisante toutefois pour le faire mourir rapidement, au point qu’il fallut avoir recours à un athlète (Narcisse) pour l’étrangler dans son bain. C’était le 31 décembre de l’an 192, et la grande anarchie commençait. En fait, c’était aussi le début de la fin de l’Empire romain.

Heureux de la mort de Commode, âgé de trente et un ans et dont le règne aura duré onze ans et neuf mois, les sénateurs agirent comme s’ils en eussent été les auteurs en élisant pour lui succéder un de leurs collègues, Pertinax, alors âgé de soixante-sept ans, qui n’accepta cette nomination qu’à contre-coeur, à juste raison. Pour ramener de l’ordre dans les finances, il dut congédier beaucoup de profiteurs, parmi lesquels les prétoriens. Au bout de deux mois de gouvernement (de janvier à mars 193) exercé dans ce sens, on le trouva mort, tué par ses gardes, qui annoncèrent que le trône était aux enchères, et qu’il appartiendrait à celui qui leur offrirait la gratification la plus généreuse.

Evidemment une telle annonce allait déclencher des évènements à la fois loufoques et surprenants. Ainsi, un banquier milliardaire nommé Didius Julianus mangeait tranquillement chez lui quand sa femme et sa fille, qui étaient remplies d’ambition, lui jetèrent sa toge sur le dos en lui ordonnant d’aller miser. Bien à contrecœur, mais redoutant plus encore ces femmes que les inconnues du pouvoir, Didius offrit aux prétoriens trois millions par tête (les millions ne lui manquaient pas !), et le trône lui fut adjugé. Néanmoins, même si le Sénat était tombé bien bas, il ne l’était pas assez pour accepter un tel marché. Du coup il envoya secrètement des appels au secours désespérés aux généraux détachés en province, et l’un deux, Septime Sévère, vint, promit le double de ce qu’avait offert Julianus et l’emporta. Cela provoqua la désolation du banquier, pleurant à chaudes larmes dans une salle de bain, où on vint le décapiter. Sa femme fut veuve, mais se consola très vite parce qu’elle porta à partir de ce moment le titre d’ex-impératrice.

Michel Escatafal


Marc Aurèle, à la fois empereur, infirmier, général et philosophe (2)

Marc AurèlePartie 2

Dans un précédent article, j’avais évoqué cette horrible calamité publique qui fit tant de mal aux habitants d’Italie, notamment ceux de Rome,  la peste. Mais d’autres de caractère privées s’abattirent sur Marc Aurèle, même s’il ne faut évidemment pas faire la comparaison. Il n’empêche, sa femme Faustine fut aux yeux de nombre d’historiens la cause de nombreux tourments pour cet empereur. Cette Faustine, dois-je le rappeler, était la fille d’Antonin, que ce dernier lui avait donné pour femme. Hélas pour Marc Aurèle, elle ressemblait comme une sœur jumelle à la mère dont elle portait le prénom, à la fois dans sa beauté, dans l’enjouement, et aussi dans ses infidélités. Même si personne ne l’a surprise en flagrant délit d’adultère, tout Rome en parlait, y compris en lui trouvant des circonstances atténuantes, notamment le fait qu’elle ait  un mari ascétique et mélancolique, sans doute trop absorbé par son rôle de « premier serviteur de l’Etat ». Pourtant Marc Aurèle était aussi galant homme que son prédécesseur et beau-père, comblant sa femme d’attentions et de tendresse sans la moindre plainte ou récrimination à son égard. Dans ses Méditations, il alla jusqu’à remercier les dieux de lui avoir donné une épouse aussi affectueuse et dévouée. Sur les quatre enfants qui naquirent de ce mariage, une fille mourut, l’autre devint la malheureuse épouse de Lucius Verus, lequel ne se conduisit bien avec elle que le jour où il se décida à la laisser veuve. Quant aux deux jumeaux, dont tout Rome disait que le père était un gladiateur (personnage star de l’époque), l’un mourut en venant au monde, alors que l’autre, le futur empereur Commode (180-192), un des pires qu’ait connu Rome,  était à la fois un superbe athlète et un miracle de beauté, mais aussi désespérant de paresse pour tout ce qui était enseignement. En revanche il avait une passion effrénée du cirque et des luttes avec les fauves. Bon sang ne saurait mentir ! Cela dit, Marc Aurèle l’aimait follement et lui passait tout.

Les morts de la peste et la famine qu’elle provoqua avaient fait de Rome une ville sinistre, qualificatif qui convenait parfaitement à ce pauvre honnête homme qu’était Marc Aurèle, rongé par les insomnies et un ulcère à l’estomac qui, en outre, n’avait pas réparé un malheur qu’un autre s’abattait sur lui. Parmi ces problèmes, il y eut les tribus germaniques qui déferlaient vers ce qui s’appelle de nos jours l’Autriche, la Hongrie et la Roumanie, ce qui obligea Marc Aurèle à se mettre personnellement à la tête des légions. Cette décision fit d’ailleurs sourire bien des gens, car ce petit homme végétarien, pâle et frêle, n’inspirait guère confiance comme meneur d’hommes. Et pourtant rarement les légionnaires combattirent avec autant d’entrain que sous son commandement direct.

 A ce propos, cet homme de paix fit la guerre pendant presque six ans, entre 167 et 173, face aux Marcomans en Norique (Autriche), aux Quades, aux Logobards et aux Sarmates qui, de concert, s’attaquèrent à la Pannonie (Sud de la Hongrie) au point d’atteindre le Nord de l’Italie, avant d’être repoussés au-delà du Danube. Néanmoins malgré d’évidentes dispositions pour faire la guerre, Marc Aurèle n’appréciait guère cet exercice. La preuve, quand se retrouvant seul avec lui-même après une journée de bataille, il n’hésitait pas à écrire dans ses Méditations : « Quand elle a pris une mouche, l’araignée croit avoir accompli un grand exploit. De même celui qui a fait prisonnier un Sarmate. Ni l’une ni l’autre ne s’aperçoivent qu’ils ne sont pas autre chose que deux petits voleurs »…ce qui ne l’empêchait pas le lendemain de recommencer à combattre ces mêmes Sarmates.

Il ne manquait pas non plus de flair politique, comme en témoigne son attitude lorsqu’Avidius Cassius, général en Egypte, se révolta et se proclama empereur (175), alors que Marc Aurèle était en train de couronner en Bohême toute une suite de brillantes victoires. Avidius Cassius était un brillant jeune général, ex-chef d’état- major de Lucius Verus, qui avait battu les Perses en exécutant à la lettre le plan de Marc Aurèle, ce qui avait amené Marc Aurèle à conclure une paix rapide et généreuse avec ses adversaires. Pour ce faire, Marc Aurèle réunit ses soldats, leur dit que si Rome le voulait, il se retirerait volontiers pour céder la place à son concurrent. Mais le Sénat refusa à l’unanimité et, tandis que Marc Aurèle s’avançait vers Avidius Cassius, celui-ci fut tué par un de ses officiers, ce que Marc Aurèle regretta vivement parce qu’il aurait de beaucoup préférer  pardonner à Avidius Cassius. Ensuite Marc Aurèle s’arrêta à Athènes pour un échange de vues avec les maîtres des différentes écoles philosophiques locales et, une fois rentré à Rome (176), y subit bien à contrecœur le triomphe qu’on lui décréta, en y associant Commode, déjà célèbre pour ses exploits de gladiateur, mais aussi pour sa cruauté et son vocabulaire tiré des bas-fonds.

Comme s’il voulait détourner ce jeune homme de ses passions malsaines, Marc Aurèle l’emmena avec lui après avoir décidé de reprendre presqu’immédiatement (177)  la guerre contre les Germains. De nouveau il s’apprêtait à enregistrer une nouvelle victoire définitive quand il tomba malade, ou plus exactement quand il se sentit davantage malade que d’habitude. Il devait l’être, car il ne put rien avaler  ni boire pendant cinq jours. Le sixième jour il se leva enfin, présenta Commode comme nouvel empereur aux troupes alignées, lui recommanda d’étendre les frontières de l’empire jusqu’à l’Elbe, avant de se remettre au lit, le visage couvert de son drap, où il expira (17 mars 180) à Vindobona, là où se trouve la ville de Vienne (Autriche) aujourd’hui. Ainsi finit la vie d’un empereur qui aura laissé la trace d’un des hommes les plus importants de l’histoire de l’Empire romain. Un homme honni des chrétiens parce qu’il organisa ou laissa faire des châtiments qui coûtèrent la vie à des personnages aussi emblématiques que le philosophe chrétien Justin (166) ou encore l’évêque Pothin ou Sainte Blandine dans le cadre des supplices des « Martyrs de Lyon (177). Néanmoins, ses Méditations composées en grec, sous la tente, sans être un grand document de la littérature, contiennent le plus haut code moral que nous ait laissé l’Antiquité. Au moment précis où la conscience de Rome s’éteignait , cet empereur la faisait briller de sa lueur la plus vive.

Michel Escatafal