Louis XV a fait de la France un pays affaibli et déclinant

louisXVLa période de gloire et de magnificence du Roi Soleil fut une époque où tous les souverains d’Europe (Angleterre, Espagne, Prusse, Russie…) se mirent à copier Versailles, faisant appel à des architectes, des peintres et des sculpteurs français. Ainsi on dessinait des jardins à la française, on cuisinait et on s’habillait à la française, on dansait le menuet et la gavotte comme à Versailles. Même notre langue devint de facto, à partir de 1697 (traité de Ryswick rédigé en français entre la France et les Provinces –Unies), la langue diplomatique, bien que la langue latine conservât ses droits jusqu’en 1763. Bref, la France de Louis XIV était une sorte de « phare de l’humanité », y compris à la fin de son règne, malgré les erreurs et les échecs du vieux roi.

Hélas pour l’orgueil national, cela ne dura pas, au point qu’en 1773 le monde regardait la France comme une puissance devenue secondaire dans le vrai sens du terme, ce qui signifie qu’elle n’était plus la nation prépondérante. Il est vrai que les successeurs de Louis XIV, le nonchalant Louis XV et le faible Louis XVI, ne firent rien pour stopper le déclin déjà amorcé dans les dernières années de la vie de Louis XIV, même si nombre d’historiens considèrent qu’il date de la révocation de l’Edit de Nantes (18 octobre 1685). Pour mémoire on rappellera que cette décision avait entraîné la fuite de près de 300.000 protestants pour des refuges tels que Berlin, Londres, Genève, Amsterdam ou Le Cap en Afrique du Sud, pays où l’on trouve nombre de noms à consonance bien française. Cette fuite fut surtout préjudiciable parce qu’elle concernait des gens issus de la bourgeoisie laborieuse, lesquels allaient offrir leurs talents à leur pays d’accueil. Talents d’autant plus importants que, contrairement aux nobles qui ne travaillaient pas ou si peu, ces exilés représentaient une des forces vives de la nation (négoce).

Cela dit, le déclin de la puissance française en Europe fut surtout due à une crise d’autorité comme la France n’en avait pas connu depuis longtemps. Louis XV en effet, fut un roi d’une insigne faiblesse, laquelle n’avait d’égale que son extrême paresse d’esprit. En fait, conscient de sa mollesse et de ses lacunes, les seules choses qui l’intéressaient réellement étaient la chasse, la cuisine, préparant lui-même des petits plats, et ses favorites. Pourtant son début de règne fut prometteur, un peu à l’image de ces empereurs romains auxquels on prêtait de grands desseins avant qu’ils ne provoquent de grandes déceptions (Caligula, Néron, Domitien, Commode), devenant très vite ce qu’on appellerait aujourd’hui une idole ou une grande star, sous sa perruque blanche qui mettait en évidence sa beauté aristocratique, au point de devenir pour ses sujets « le Bien–Aimé ». Il était tellement aimé, qu’à la nouvelle d’une maladie contractée à Metz, où il dirigeait la direction de la défense nationale, en pleine guerre de la Succession d’Autriche (en 1744), hommes et femmes de toute la France se précipitèrent dans les églises afin de prier pour sa guérison. On raconte même qu’à la seule sacristie de Notre-Dame de Paris, il fut demandé 6000 messes pour qu’il surmonte la maladie. Un an plus tard, il prit part à la bataille de Fontenoy (aujourd’hui en Belgique), célèbre pour son fameux « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! », victoire prestigieuse certes, mais qui sonna comme le chant du cygne de son règne.

En effet, comme je l’ai précédemment évoqué, l’espoir du peuple s’est assez rapidement envolé. Après la mort du ministre Fleury en 1743, par parenthèse à un âge canonique pour l’époque (90 ans), beaucoup pensaient que Louis XV allait enfin gouverner lui-même, disant à ceux qui lui annonçaient la fin du vieux cardinal : « Et bien, me voilà premier ministre », ce qu’il ne fut jamais, se contentant d’être roi en raison des privilèges et des plaisirs que la fonction était susceptible d’offrir. Pourtant toutes les fées semblaient s’être penchées sur son berceau avec, outre sa beauté naturelle, qui avait fait dire au marquis d’Argenson « qu’il ressemblait à l’amour », un esprit fin et une belle dose de bon sens. Il était aussi capable d’amitié et d’affection, accomplissant même strictement ses devoirs religieux. Cela étant, il était un personnage assez énigmatique, sujet à des sautes d’humeur déconcertantes. Bref, de gros défauts que certains attribuent au fait qu’ayant été roi très jeune (cinq ans), il n’avait été entouré sa vie durant que par des courtisans empressés à lui plaire, ce qui avait développé chez lui son plus terrible travers, à savoir un égoïsme exacerbé qui lui faisait oublier tous ses devoirs.

En fait, il ne s’intéressait quasiment pas aux affaires de l’Etat, suivant avec indifférence les séances du Conseil…parce que ça l’ennuyait. On notera d’ailleurs le contraste avec son arrière grand-père, Louis XIV, à qui il succéda en 1715. Toutefois il y eut au moins un point sur lequel il ressembla à son prestigieux prédécesseur : ses liaisons parfois dangereuses avec des femmes qui n’eurent pas toujours une bonne influence sur lui. Mais sur ce plan Louis XV fit beaucoup plus fort que le Roi soleil, au point que le roi de Prusse Frédéric parla de « règne des favorites » ou de celui « des cornettes et des cotillons ». Toutefois ce caractère volage n’apparut pas dans ses premières années de mariage. On dit même qu’au début, son mariage avec Marie Leczinska fut plutôt heureux, le couple ayant eu dix enfants, dont sept survécurent (six filles et un garçon). Mais son règne à peine commencé, l’influence de la reine, au demeurant plutôt effacée, s’estompa au profit des favorites.

La première qui joua un rôle politique fut la duchesse de Châteauroux (à partir de 1742), mais son influence dura peu, car elle mourut subitement en 1744. Ensuite ce fut une bourgeoise, Jeanne Poisson, qui lui succéda, au grand dam de la noblesse qui lui reprochait d’être la fille d’un père condamné à l’exil pour divers trafics frauduleux. Mais le roi n’eut cure de cette paternité et la fit marquise de Pompadour en 1745, après avoir été séparée légalement de son mari. Plus jeune que Louis XV, elle était assez jolie si l’on croit le portrait dessinée par Maurice-Quentin Delatour, datant de 1753, alors qu’elle était âgée de trente deux ans. Elle était également lettrée, et surtout dévorée d’ambition. Dès 1747, après avoir été officiellement présentée à la Cour, le roi lui donna un appartement au château de Versailles, qu’elle occupera pendant vingt ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort (1764). Et si elle resta aussi longtemps, c’est surtout parce qu’elle fut en fait la vraie souveraine, faisant et défaisant les ministres, allant jusqu’à confier ou retirer les commandements…aux armées.

Plus grave encore, l’arrivée à Versailles de « la Pompadour » marqua le début d’un terrible gaspillage qui se perpétua jusqu’à la fin du règne de Louis XV, lequel, livré à lui-même, se comporta comme un enfant gâté essayant de distraire son ennui. Quant à la favorite, elle chercha à assurer son crédit en multipliant les divertissements autour de Louis XV et en prodiguant de multiples largesses. Les « menus plaisirs » se révélèrent plus ruineux les uns que les autres, moins toutefois que les pensions distribuées aux courtisans. Par exemple, le prince de Condé touchait 500.000 livres, avant de voir sa dotation tripler (1.500.000 livres équivaudraient de nos jours à un peu moins de 4.000.000 d’euros)…pour payer ses dettes ! Une générosité pour quelques privilégiés qui absorbaient une bonne partie des revenus de l’Etat. Et à l’époque il n’y avait pas de Cour des Comptes, créée seulement en 1807, ce qui n’aurait sans doute rien changé si elle avait existé pendant le règne de Louis XV.

Comme évoqué précédemment, après la mort de Fleury, il n’y eut plus de premier ministre, et comme le roi n’en faisait pas fonction, le gouvernement se trouva sans réelle direction. Cela étant, parmi les différents ministres désignés par la faveur du roi ou de Madame de Pompadour, il y eut quand même quelques hommes à qui l’on peut reconnaître quelques mérites, et même un grand administrateur, le contrôleur général Machault. Remplaçant d’Orry en 1745, homme intègre et habile financier qui rétablit l’impôt du dixième après le désastre du système Law, Machault d’Arnouville était un ancien intendant réputé pour son énergie, au point qu’on le surnomma « Tête de fer ». Au lendemain de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), il entreprit de rétablir de nouveau la situation financière fortement dégradée par les dépenses militaires et le gaspillage de la Cour. Comme Fleury, Machault voulait faire des économies, tout en sachant que le seul remède véritable aux difficultés des finances publiques était de s’attaquer aux scandaleux privilèges des grands propriétaires fonciers qui échappaient à l’impôt.

En mai 1749, avec l’approbation du roi, Machault d’Arnouville abolit l’ancien dixième ressuscité par Orry en 1733. Il le remplaça par un impôt deux fois moins lourd, le vingtième, mais prélevé sur les revenus de tous, privilégiés ou non, pour assurer graduellement le remboursement de la dette. Une bonne décision qui ne fit pas long feu, puisque le vingtième, comme autrefois la capitation ou le dixième, se heurta à la résistance farouche des privilégiés, à commencer par les Parlements (Paris et province), et le clergé. Résultat, Louis XV céda, et le clergé comme les autres privilégiés furent exemptés, la charge retombant sur le peuple. Cette reculade eut pour premier effet de voir s’élever une antipathie de plus en plus marquée entre le peuple et le souverain, plus particulièrement le peuple de Paris, même si le roi fut dans un premier temps davantage épargné que la marquise de Pompadour ou les courtisans avides de faveurs et hostiles à toute réforme. Cette hostilité ne fit que croître jusqu’en 1774, année de la mort de Louis XV.

Michel Escatafal



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