Octave, mais aussi Cléopâtre et Marc Antoine

Comme je l’ai écrit dans l’article précédent, ce partage de l’Empire en trois parties ne pouvait être que provisoire, Antoine et Octave ne pouvant se contenter de leur part. En fait les deux voulaient la totalité du gâteau, et celui qui paraissait le plus sûr de réussir dans son entreprise était  Antoine, pour la simple raison qu’il ne croyait qu’aux vertus de la force militaire. Or comme général, Antoine se croyait supérieur à Octave, même si à Modène il dut subir une défaite humiliante face à son rival (43 av. J.C.), bien aidé par la chance il faut le reconnaître.

En tout cas la première chose que fit Antoine, qui avait récupéré rappelons-le l’Egypte, la Grèce et le Moyen-Orient dans le partage, fut d’envoyer un message à Cléopâtre, lui enjoignant de venir le trouver à Tarse (aujourd’hui en Turquie) pour répondre à l’accusation que certains lui faisaient, d’avoir aidé et financé Crassus. Cléopâtre obéit, et le jour fixé pour son arrivée Antoine se prépara à la recevoir juché sur un trône majestueux au milieu du Forum, devant une population excitée par l’idée d’un procès imminent.  Cléopâtre arriva sur un navire à voile rouge, muni d’un éperon doré, la quille revêtue d’argent, ses suivantes étant toutes habillées en nymphe, tout ce joli monde écoutant de la musique jouée par des fifres et des flûtes. Evidemment tout cela créa sur le port du fleuve Cydnus une agitation extraordinaire, Antoine se retrouvant seul, ce qui le rendit furieux. Du coup il fit appeler Cléopâtre, mais elle lui fit répondre qu’elle l’attendait à bord pour déjeuner, ce qui n’atténua pas son courroux, lui se considérant comme un juge et elle comme une accusée.

Mais quand Antoine la vit, il fut immédiatement subjugué, la petite fille qu’il avait connue jadis à Alexandrie sans que l’on sache exactement comment, étant devenue une femme extrêmement séduisante alors âgée de vingt neuf ans (41 av. J.C.). Ce n’était pas pour rien qu’elle avait séduit César, et les officiers d’Antoine étaient tous aux pieds de la reine, béats d’admiration pour cette divine créature. Du coup Antoine calma aussitôt son dépit, et au dessert il lui avait déjà fait cadeau de la Phénicie, de Chypre, et de quelques morceaux d’Arabie et de Palestine. Il fut récompensé de ces bontés la nuit même, les généraux se distrayant avec les nymphes. Ensuite Cléopâtre amena Antoine et son équipe à Alexandrie, ce dernier oubliant complètement le motif pour lequel Cléopâtre était venue jusqu’à Tarse…contrairement à Cléopâtre qui savait bien que sa condition d’accusée ne s’était pas envolée comme par miracle, surtout si Antoine ne réussissait pas à devenir le seul maître de l’Empire romain. Cela prouve aussi que la dame savait que Rome ne pouvait avoir trois maîtres en même temps. Néanmoins, même si elle n’aimait pas Antoine, elle eut l’idée de tenter avec lui ce qu’elle n’avait pas réussi à faire avec César.

Tandis que ces faits avaient lieu à Alexandrie, à Rome Octave jetait les bases d’une réunification, malgré les difficultés que cela supposait. En Espagne Sextus Pompée (68-35 av. J.C.), plus jeune fils de Pompée, avait recommencé à s’agiter et bloquait le ravitaillement, ce qui entraînait de nombreux désordres, et faisait augmenter le nombre chômeurs et l’inflation sur les produits de première nécessité, tout cela incitant le Sénat à faire fronde. En outre Fulvie, la femme d’Antoine, sans doute pour soustraire son mari à l’envoûtement de Cléopâtre, organisa un complot avec le frère d’Antoine, Lucius, appelant les Italiens à la révolte. Mais Octave ayant senti le danger, fit intervenir son fidèle lieutenant Marc Agrippa (63-12 av. J.C.) et étouffa cette tentative, ce qui eut pour conséquence d’entraîner la mort de Fulvie, à la fois de rage, de déception et de jalousie. Du coup, Cléopâtre trouva prétexte de cet évènement pour pousser Antoine à jouer le tout pour le tout, sachant l’emprise qu’elle avait sur lui.

 Antoine réunit son armée, l’embarqua à Brindisi et y assiégea la garnison d’Octave, mais ô surprise les soldats des deux adversaires refusèrent de se battre pour obliger les deux généraux à faire la paix. Une paix qui fut scellée par le mariage d’Antoine …avec Octavie (octobre 40 av. J.C.), la sœur d’Octave, une honnête femme, dont il était difficile d’imaginer qu’elle pût retenir une tête brulée comme Antoine. Et pourtant, il sembla un temps qu’Antoine ait oublié Cléopâtre, au point d’avoir amené sa femme à Athènes, allant même jusqu’à visiter avec elle les musées et écouter les leçons de philosophie. Mais le souvenir de Cléopâtre ne s’était pas enfui,  et Antoine décida de renvoyer Octavie à Rome.  Ensuite il dirigea son armée contre la Perse où Labienus, fils du général qui avait trahi César, organisait une armée au service du roi rebelle. Cléopâtre rejoignit Antoine à Antioche, et même si elle refusa de financer l’expédition contre Labienus parce qu’elle ne l’approuvait pas, elle suivit son amant.

Celui-ci poursuivit inutilement l’ennemi sur cinq cents kilomètres, perdant dans l’aventure une bonne partie de ses cent mille hommes, imposa à l’Arménie un vasselage tout théorique, et pour finir se proclama vainqueur tout en s’offrant lui-même un solennel triomphe à Alexandrie, oubliant simplement que ce type de cérémonie n’était concevable qu’à Rome, ce qui provoqua un scandale. Enfin Antoine intima à Octavie l’ordre de divorcer, rompant ainsi tout lien avec Octave. Et tout cela pour épouser Cléopâtre, et offrir aux deux fils qu’il avait d’elle tout le Moyen-Orient, sans oublier de faire de Césarion le prince héritier d’Egypte et de Chypre.

Bien évidemment tout cela ne pouvait qu’entraîner un conflit avec Octave, lequel de son côté se préparait comme d’habitude très méticuleusement. Cela ne l’avait pas empêché lui aussi d’avoir des complications sentimentales, après être tombé amoureux d’une femme enceinte de cinq mois, Livia, épouse de Tiberius Claudius Néron. Bien qu’encore très jeune, Octave avait déjà été marié deux fois, d’abord avec Claudia, puis avec Scribonia qui lui avait donné une fille, Julie. Pour vivre pleinement son amour avec Livia, Octave décida donc de divorcer une nouvelle fois (38 av J.C.), et persuada Tiberius Claudius Néron de faire de même avec Livia qu’il prit pour lui avec ses deux fils : Tibère, déjà grand, et Drusus qui allait naître. Il adopta ces deux fils comme s’ils avaient été de lui.

Une fois achevées ces affaires matrimoniales, Octave se remit d’arrache-pied au travail, en commençant par faire tomber le blocus de Sextus en détruisant sa flotte à Nauloque (36 av. J.C.). L’ordre fut donc rétabli et la confiance revint dans les milieux d’affaires. Il faut dire aussi qu’un des traits de génie d’Octave fut de garder auprès de lui Marc Agrippa qui, non content d’être un valeureux général, s’avéra aussi être un remarquable ministre de la Guerre. Ce fut lui le véritable réorganisateur de la grande armée qui devait ramener l’unité de commandement dans l’Empire romain. Il ne restait plus maintenant à Octave que devenir Auguste.

esca



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