Marius n’était pas un politicien

Marius avait fait la preuve qu’il savait mener au succès les légions, mais la question qui se posait était de savoir si l’homme politique était aussi éclairé que le général. Cette question se posait d’autant plus que Marius avait fait à ses soldats beaucoup de promesses, et pour les tenir il dut s’allier aux chefs du parti populaire, Saturninus, tribun de la plèbe, et Glaucias, préteur. Ces deux hommes étaient sans foi ni loi, connaissant parfaitement toutes les astuces parlementaires, et ne pensaient qu’à eux. Saturninus qui fut élu trois fois tribun (102 à 100 av. J.C.), et Glaucia, préteur en 100 av. J.C. proposèrent que le prix du blé (fixé par Caius Gracchus) fût diminué des neuf dixièmes. Cette mesure destinée à faire gagner des votes pour leur parti était parfaitement démagogique, et mettait en danger le budget de l’Etat, ce qui effrayait « les populaires » les plus modérés. Le Sénat fit en sorte qu’un tribun oppose son véto, mais cela n’empêcha pas le démagogue Saturninus de proposer la loi, provoquant de nombreux incidents. Ensuite Glaucia se porta candidat au consulat à côté de Marius contre un des rares aristocrates encore respectés, Caius Memmius. Mais pour être sûr que Memmius ne soit pas élu, Saturninus le fit assassiner. Devant cette atteinte aux lois de la république, le Sénat demanda à Marius de faire justice et de rétablir l’ordre.

Mais Marius n’était plus le jeune général fringant des années passés, passant beaucoup de son temps à boire et à manger plus que de raison, et il hésita, ce qui était d’ailleurs sa ligne de conduite depuis qu’il était entré en politique. Cela dit, il avait un choix difficile à faire puisqu’il s’agissait de choisir entre une révolte ouverte et la liquidation de ses amis, solution qu’il privilégia. Il commanda lui-même la lapidation à mort de Saturninus, Glaucias et leurs amis, ce qui lui valut d’être haï par tout le monde. En effet, la plèbe ne voyait plus en lui qu’un traître, et l’aristocratie se refusait à lui faire confiance, le considérant comme un allié peu sûr. Du coup il  décida de se retirer plein de ressentiment, et partit faire un voyage en Orient.

En moins de deux ans Marius avait ruiné la quasi-totalité du crédit que Rome lui avait accordé. En fait l’homme était trop passionné, et n’a jamais compris qu’on ne dirigeait pas un pays comme une armée.  En 91 av. J.C., Marcus Livius Drusus, aristocrate dont le père s’était opposé à Tibérius Gracchus, fut élu tribun. Ce Drusus avait aussi une fille qui épousera plus tard un certain Octave qui allait devenir plus tard le premier des empereurs romains, César Auguste. Il proposa à l’Assemblée trois réformes très importantes : distribuer de nouvelles terres aux pauvres, rendre au Sénat le monopole dans les jurys, mais en lui adjoignant trois cents membres, et faire citoyens romains tous les Italiens libres. Les deux premiers textes furent approuvés, mais pas le troisième parce que l’auteur fut assassiné avant qu’on en discutât.

Tout cela eut le don de mettre le feu dans la péninsule, celle-ci considérant qu’elle n’était pas traitée à égalité avec la cité de Rome, après deux siècles d’union. La province avait d’autant plus le droit d’être en colère qu’elle n’avait toujours aucun représentant au Parlement, alors qu’elle était pressurée d’impôts toujours plus lourds, et qu’elle fournissait le contingent le plus important des armées. En outre les préfets passaient l’essentiel de leur temps à exciter l’antagonisme entre riches et pauvres, afin que surtout ils ne s’unissent pas contre les décisions du pouvoir central. Par ailleurs seuls quelques millionnaires, comme nous dirions de nos jours, avaient réussi à obtenir le titre de citoyens romains, à force de pourboires.

Or, en l’an 126 av. J.C., l’Assemblée avait interdit aux Italiens de province d’émigrer à Rome, expulsant même une trentaine d’années plus tard (en 95 av J.C.) ceux qui s’y trouvaient déjà. Autant d’évènements se succédant les uns après les autres susceptibles de fomenter des révoltes un peu partout, mis à part en Etrurie et en Ombrie, peut-être à cause de la proximité géographique. Une armée fut montée de toutes pièces, forte surtout d’esclaves qui unirent très vite leur sort à celui des rebelles. Ceux-ci proclamèrent même une république fédérale ayant pour capitale Corfinium (dans les Abruzzes). Ce fut autant une guerre sociale qu’une guerre servile (90 av. J.C.), laquelle provoqua une belle panique à Rome en voyant ces gueux se soulever. La panique fut telle que le mythe de Marius, « l’homme qu’il nous faut », réapparut.

Et de fait Marius fit une nouvelle fois don de sa personne pour réprimer ces révoltes, après avoir improvisé à la hâte une armée. Celle-ci remporta de nombreuses victoires, mais au prix de massacres et de multiples exactions qui dévastèrent toute la péninsule. Au total cette guerre coûta la vie à trois cent mille hommes, ce qui incita le Sénat à donner le titre de citoyens romains aux Etrusques et aux Ombres, en récompense de leur fidélité, mais aussi à tous ceux qui étaient prêts à jurer fidélité à Rome, à condition de déposer les armes. La paix finit par être rétablie, mais à quel prix ! Et pour couronner le tout, Rome ne tint pas parole, puisque les nouveaux citoyens furent englobés en dix nouvelles tribus, lesquelles ne devaient voter qu’après les trente cinq tribus romaines qui formaient les comices des tribus, donc sans la moindre possibilité de s’opposer aux décisions prises par les comices des tribus. Par parenthèse, il fallut attendre l’arrivée au pouvoir de César, pour qu’enfin les nouveaux citoyens puissent obtenir les mêmes droits démocratiques que les autres.

Cela dit en 90 av. J.C., la guerre reprenait, provoquée par Marius qui se croyait toujours l’homme providentiel. Cette guerre n’était plus ni sociale, ni servile, mais tout simplement civile. Mais Marius n’était plus l’homme qu’il fallait, peut-être parce qu’il s’était aperçu qu’il avait eu tort de faire repartir les hostilités, d’où un engagement moins marqué que celui qu’on lui avait connu précédemment, ce dont profita un ancien subordonné et questeur de Marius en Numidie, Sylla.

esca