L’Angleterre au début du dix-septième siècle

Le dix-septième siècle a été en Angleterre le siècle des révolutions, la première ayant éclaté en 1640. Mais que s’est-il passé avant d’en arriver à cette révolution? C’est ce que nous allons essayer de voir, en s’intéressant d’abord à la société anglaise dans les premières années de ce siècle, en notant qu’à cette époque l’Angleterre était bien moins peuplée que la France avec ses cinq millions d’habitants, soit quatre fois moins que notre pays. En revanche l’Angleterre était une nation relativement prospère, l’élevage, l’industrie et le commerce s’étant beaucoup développés depuis le règne d’Elisabeth (novembre 1558- mars 1603).

La terre était partagée entre des grands propriétaires, les landlords, presque tous courtisans enrichis par la faveur royale, les membres d’une petite noblesse, la gentry, qui résidaient sur leurs domaines, et de nombreux petits propriétaires libres et francs-tenanciers, les yeomen. Il existait aussi dans les campagnes beaucoup de journaliers et d’indigents, tenus par une sorte de servitude par les  lois sur les pauvres. Dans les villes, surtout à Londres, vivait une riche bourgeoisie de marchands, de fabricants, d’armateurs, de qui dépendait une foule remuante d’ouvriers, de taverniers et de garçons de boutique.

La gentry et la bourgeoisie constituaient les éléments entreprenants de la nation. A l’inverse de ce qui se passait en France, la petite noblesse rurale s’occupait activement de ses propriétés, essayant d’augmenter ses ressources par la mise en valeur de terres incultes ou l’assèchement de régions marécageuses, s’efforçant aussi d’agrandir ses domaines qu’elle commençait à enclore de haies, pour empêcher les indigents de venir y glaner après les moissons ou d’y faire paître leurs bêtes. Les bourgeois se groupaient en compagnie de commerce et montraient un goût du risque et de la spéculation : c’est dans ce contexte que fut créée dès 1600 la Compagnie des Indes orientales. Ajoutons à cela que petits nobles ruraux et bourgeois désiraient par-dessus tout que le souverain ne se mêlât point de leur activité économique. Ils entendaient la poursuivre par eux-mêmes en toute liberté et s’en réserver entièrement les profits. On comprend mieux pourquoi la Grande-Bretagne est la vraie patrie de l’ultra libéralisme de nos jours.

Sur le plan politique, il était de tradition depuis le treizième siècle que le roi gouvernât avec la collaboration des représentants de la nation anglaise. Ceux-ci formaient le Parlement divisé en deux chambres : la Chambre des lords, composée des grands seigneurs et des prélats, la Chambre des communes, où siégeaient les députés des comtés et des bourgs. Le Parlement ne se réunissait que sur convocation du souverain, mais son concours était indispensable à celui-ci en matière de législation et pour ce qui concerne les impôts. Aucun bill, c’est-à-dire aucune loi, aucun subside, c’est-à-dire aucune taxe, n’était applicable s’il n’y avait eu d’abord un vote des deux chambres. Le Parlement avait aussi le droit de présenter des pétitions au roi et de lui exprimer des remontrances, ce qui signifie lui faire connaître son sentiment sur le gouvernement en général, le choix des fonctionnaires etc. Néanmoins le roi était libre d’en tenir compte ou non.

Cela dit, les députés qui formaient la Chambre des Communes étaient élus principalement par la gentry et la bourgeoisie. Le système électoral réservait en effet le droit de vote dans les comtés aux propriétaires fonciers, et dans les bourgs, dont la liste avait été fixée du temps d’Elisabeth, aux membres des principales corporations. La gentry et la bourgeoisie étaient passionnément attachées aux prérogatives politiques dont elles jouissaient. Elles entendaient que la monarchie respectât les droits du Parlement, ou, comme on disait aussi,  les  « libertés » de la nation.

La question religieuse tenait aussi une place importante à l’époque. Depuis le règne d’Henri VIII (1509-1547), et plus encore celui d’Elisabeth (1558-1603), la religion officielle de l’Angleterre, qui était aussi la seule reconnue, fut l’anglicanisme. Cependant le catholicisme conservait beaucoup de fidèles, et en plus nombre de protestants anglais refusaient de se conformer au rite anglican : on les appela dissidents ou non-conformistes. Anglicans et dissidents avaient en commun d’accepter la doctrine calviniste, mais l’Eglise anglicane avait conservé du catholicisme l’extérieur, la pompe du culte, la hiérarchie épiscopale. Elle était surtout le plus solide appui du trône, allant jusqu’à proclamer péché mortel la résistance à la volonté royale. Rien que ça ! Au contraire, les dissidents rejetaient tout ce qui rappelait « l’idolâtrie papiste », voulant en purifier l’Eglise anglicane, d’où le nom de puritains qu’on leur donnait parfois.

On les reconnaissait à l’austérité de leur mise, à leur langage tout émaillé d’expressions bibliques, car la Bible était devenue le livre le plus lu en Angleterre. Les dissidents se divisaient eux-mêmes en nombreuses sectes : les uns voulaient introduire en Angleterre l’organisation presbytérienne d’Ecosse avec des décisions prises du plan local au plan national (synode national), alors que d’autres, plus exaltés, les indépendants, ne voulaient ni du ministère presbytérien, ni de l’évêque anglican, chacun devant chercher directement dans la Bible les règles de sa conduite. Le puritanisme s’était répandu principalement parmi les bourgeois des villes et la noblesse des campagnes. De fait les passions religieuses se mêlèrent ainsi aux préoccupations économiques et aux débats politiques.

Michel Escatafal